Lorsque Fernando eut déposé les tasses de café sur la table et qu’il fut assis, l’amiral le regarda et lui dit : "Le Mozambique me manque.
- Moi aussi", répondit le patron du restaurant. Aucun d’eux n’était jamais allé au Mozambique, et pourtant rien n’était plus vrai, pour chacun de ces deux hommes, que ce manque qu’ils venaient d’exprimer. Ils se turent un temps, partageant ce sentiment comme on le fait d’un bon alcool qui a vieilli une vie d’homme à la cave. Puis l’amiral reprit : "Je ne crois pas que nous y retournerons.
- Non, répondit Fernando. Avant de demander à son ami avec un regard d’enfant : « Vous croyez qu’il est parti définitivement ? » L’amiral fit une moue pour dire que rien n’était certain, mais rien exclu non plus. Puis il regarda le café noir dans sa tasse déjà à moitié bue et dit : "Avec la mort de Da Costa l’année dernière, nous voici bien seuls, Fernando.
- Vous savez ce que me manquera le plus, amiral ? L’amiral regarda la bonne face de son ami. Il fit non de la tête pour inviter son interlocuteur à poursuivre. « Qui va nous raconter de nouvelles histoires ? » A cet instant, l’amiral crut qu’il allait pleurer. C’était bien cela. C’était exactement ce manque-là qui l’avait poussé à venir retrouver Fernando et revoir ce restaurant. C’était cela mais il n’avait pas su se le formuler et ce n’était que maintenant que la chose était nommée qu’il sentait l’émotion le submerger. Qui leur raconterait de nouvelles histoires ? Qui finirait l’histoire du Mozambique ? Aniceto de Medeiros était triste. Il murmura : « Je sais, Fernando » et, pour ne pas pleurer, il but d’un geste sec son reste de café.
Laurent Gaudé : Dans la nuit Mozambique, Babel 2008 (Actes Sud 2007), pages 131-132.