Denis Rigal : Terrestres

Vendredi 23 août 2013 — Dernier ajout samedi 17 août 2013

Retrouvez une note de lecture de Henri Droguet sur ce recueil de Denis Rigal sur Poezibao : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2013/05/note-de-lecture-denis-rigal-terrestres-par-henri-droguet.html

Dune

1

ce qu’ils ont d’humain, c’est le hasard qui les a semés là, ces deux cyprès que le vent courbe ;

toujours le même vent, depuis le premier jour ; et ils résistent avec cet attachement têtu au périssable, tout seuls parmi l’herbe pauvre.

2

aux migrations, sternes et mouettes s’y mêlent, elle brouillonnent et bouillonnent, s’élèvent et retombent, tournent et s’entre-croisent, se chamaillent, négocient, complotent à voix confuses, la dune entière soumise à leur désordre.

demain partiront ensemble vers savoir-où, laisseront l’alouette à son chant et le traquet à son domaine.

3

ici on vit de peu. les pleurotes seules sont charnues ; si une averse les éveille, elles se soulèvent sur leur pied excentré, dodues et naïves, et s’offrent.

4

le front de sable çà et là s’effrite, s’effondre, retourne à la plage, à la mer, à l’oubli ;

ailleurs, avance un pion, un oyat qui enfonce ses griffes et pousse et repousse le vide.

à l’arrière, la dune se creuse, puis remonte, comme le vent l’a faite, reproduit la forme des vagues, figée, presque, fluide, presque : un tiers état de la matière visible ;

l’homme se regarde couler entre ses propres doigts.


Vues de l’étang

1

l’étang est ce qu’il est, ce qu’il fut et sera : l’œil unique fixé au-dedans de lui-même sur le lointain du temps les sédiments la source au fond les poissons aux lèvres lentes et les lourdes bulles de méthane qui montent et crèvent, ce bouillonnement noir.

2

il est la clôture même :

pas de projet, ni d’horizon, ni d’au-delà.

l’étang ne rêve pas, il ressasse,

fermé à tout, définitif.

pour lui, le gel ne change rien.

3

ce qui passe, ce qui se passe, une feuille, un oiseau de printemps, une averse, un arc-en-ciel, il le capte, le fixe, l’absorbe ;

et ne rend rien, sinon une sorte de paix molle, un effacement.

4

les couleuvres, les larves de libellules, les brochets, mandibules, dents, gosiers qui déchirent et déglutissent, il les cache.

ils font partie de ses ruminations ; il digère avec eux, comme eux, lentement.

Denis Rigal : Terrestres, éd. le Bruit du Temps, 2013, pages 22-23 et 68-69.

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