8. Je note chaque heure ou chaque jour des choses qui n’ont sûrement aucune importance. Hors du pavillon.
Aujourd’hui, Aurélie a dessiné un chat et un arbre. Aujourd’hui, j’ai longuement parlé avec une jeune infirmière, une stagiaire qui s’intéresse à mon cas. A midi, au self, Raymonde a rapporté son plateau. Aujourd’hui, Denis n’allait pas bien, tellement énervé qu’on ne comprenait pas ce qu’il disait.
Voilà, aujourd’hui c’est le 24 octobre. Dans le parc, les jardiniers ont commencé à ratisser les feuilles.
18. Depuis ce matin je tourne autour d’un petit poème dont rien n’est le centre. Les mots m’en éloignent. Avant d’y entrer il faudrait pouvoir en sortir. Les feuillets s’accumulent allant davantage vers le noir. Rien ne s’échappe de cette lumière, comme Perceval de la forêt. Chaque mot écrit échappe à ce qu’il dit. On y retourne, plus aveugle encore.
24. Un homme marche dans les feuilles, non loin du pavillon. Il se déplace si lentement, avec tant de précautions qu’il ne s’aperçoit pas qu’un arbre le suit.
37. Je pourrais rester ici longtemps. Dans le pyjama réglementaire. Manger chaque jour le petit pain de ce que pétrit le temps. Bon ou mauvais.
41. Nous sommes en attente de ce qu’on croyait voir venir. Mais non, il arrive autre chose et il faut tout refaire. De soi à soi. Jusqu’au moment où, là, il y aura quelqu’un.
51. L’homme qui penche se penche pour écrire, pour retenir, peut-être, ce qui était plus penché que lui. Il y a les bruits que fait quelqu’un dans mon oreille. Et quelque chose qu’on a laissé tomber.
Thierry Metz : l’homme qui penche, Opales, 1997.