LE CHAUFFEUR D’ÀGE MOYEN EST À SON AVANTAGE dans un blouson beige, et bien que coupés courts, ses cheveux bouclés restent touffus et rebelles. Les bagages de trois générations casés dans le coffe, il s’installe au volant et oriente le rétroviseur de manière à pouvoir m’observer. Il me demande comment je trouve le décor par la vitre. Nous sommes toujours à l’aéroport. - Bien, dis-je. Il se retourne pour m’offrir une datte extraite d’un sachet. - Elles sont bio, dit-il. Elles viennent de mon pays. J’en emporte une vingtaine au travail pour la journée, en misant sur dix-sept à vingt clients par jour. Il y en a qui ont peur quand je leur offre une datte, même bio. Ils me disent : « non merci », et tournent la tête vers la fenêtre. Ça me donne l’occasion d’étudier leur profil. Avec les chaussures, c’est le profil qui en dit le plus long sur la personnalité….(…) La circulation devient dense dès que nous prenons les rues à sens unique. - Avez-vous déjà remarqué que les églises ont aussi des numéros ? Dit-il alors que nous approchons du centre. Il m’indique du côté de ma fenêtre une église à la façade imposante. - Celle-ci à le numéro trente-huit. C’est comme ça qu’on peut adresser une carte postale à saint Paul. On peut écrire : « Cher Paul, merci pour l’hymne à la charité. » Il y a moins de chance pour qu’on le remercie pour ses épîtres à Thimotée. Paul était un peu du genre monsieur-je-sais-tout. Il partait de l’idée que les hommes ont toujours besoin qu’on leur montre le chemin dans la vie.
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