Carnet de résidence de Jean Luc Raharimanana - chronique/2/

Jeudi 19 décembre 2013 — Dernier ajout mercredi 7 février 2018

Proposition


Retrouver la proposition d’écriture : TRACES DE LA RÉSIDENCE DE JEAN LUC RAHARIMANANA EN PAYS DE MASSIAC - Chronique /2/ en cliquant sur le lien


Les textes

Quand tu es venu à Molèdes, il n’y avait pas encore de neige, c’était le début de l’automne. Aujourd’hui est une belle journée ensoleillée et bien fraîche, nous réalisons que nous sommes bien rentrés dans l’hiver ; il y a ça et là des plaques de neige sur les pans de la montagne, par endroit il y a des gros tas de neige que le vent a aidé à grossir. Toi tu as dû voir les derniers soubresauts de feuilles colorées sur les arbres. J’essaye de voir avec mes yeux ce qui a bien pu t’interpeller. Moi je suis gaie, ton nom me fait fredonner dans ma tête une chanson rigolote « il y a du soleil et des nanas, darladiladada !… » Il est vrai que ton nom est chantant et en plus nous ne sommes que des nanas aujourd’hui dans la voiture excepté le chauffeur, sur la route de Molèdes…Bien sûr les paysages sont magnifiques à perte de vue, mais il y a partout des paysages magnifiques, alors quoi ? Qu’est ce qui a attiré ton regard, titillé un de tes sens ?

Le site est majestueux mais austère, mais c’est peut-être parce qu’il fait froid. Ça se mérite Molèdes et la Brèche de Giniol, il faut monter monter et c’est forcément tout là haut.

Molèdes, on en a vite fait le tour, par un froid pareil personne ne traîne dehors même pas un chien, dans la rue principale il y a une coulée de glace. Le village semble désert ou presque, beaucoup de maisons n’ont plus d’habitant depuis longtemps, même pas les habitants qui ne viennent qu’aux beaux jours. On dirait qu’ici le temps s’est arrêté, pourtant non il y a les antennes de la civilisation. Le cimetière est impressionnant, il a un côté étonnamment cossu, vestiges d’un passé plus riche et plus glorieux ou le souci d’arrêter solidement le temps pour l’éternité ? Tiens un tracteur revient de je ne sais où avec un chargement de fumier suivi de deux chiens tout fous et tout crottés ! Nous voilà partis dans une conversation avec les éternelles considérations météorologiques et un brin de curiosité non avoué « qui c’est celle-là ? ». Il faut observer avant de se livrer… Ah vous êtes de Massiac, moi aussi… Quand le contact est établi, l’échange est simple, sans arrière pensée. Tu y as eu droit aussi ? Sûrement.

L’épicière tient aussi le bar du village, elle est heureuse de voir du monde, on a envie de parler, mais c’est pourtant dans la retenue que les échanges se font. L’accueil est aimable mais on nous écoute plus qu’on ne parle. Eric est venu se joindre à nous autour d’une boisson chaude. Eric est un jeune et grand gaillard pourtant on dirait qu’il est venu s’asseoir en marchant sur la pointe des pieds, discret et pas très bavard. Je fais un peu le clown pour détendre et pour qu’il puisse nous faire part de son ressenti. Il nous parle de vos conversations, les problèmes économiques respectifs et pourtant similaires à nos deux pays, Madagascar et Molèdes la France oubliée… Mes yeux se sont attardés sur le tableau d’affichage dans l’épicerie bar où il est écrit :

« Escapades en pays de Massiac « prendre le temps « prendre le temps de découvrir ce pays ou plutôt ces pays imbriqués les uns dans les autres « façonnés par les jeux de la nature et de l’homme « s’y glisser « s’y imprégner… »

après, je ne peux plus lire !… Les prospectus cachent le reste ! C’est sûr tout se mérite. On respire l’air du temps arrêté ou presque, on sent comme de l’immobilisme pas de gestes inutiles, on ouvre la porte que si nécessaire. Le décor, les quelques bibelots n’arrivent pas à nous faire oublier la rigueur, l’hiver, les formes du temps. Le modernisme n’a touché que l’indispensable. Nelson Mandela est mort, le journal sur la table du bar titre en première page sur cet évènement ; nous, nous n’évoquons pas plus que ça cette information. Les préoccupations ne sont pas tournées vers l’extérieur, vers le monde. On a feuilleté et commenté une parution locale religieuse parlant un peu de tout sur la vie du coin, les malades, les morts, les légendes revisitées pour coller au paysage de Molèdes. Le temps immobile a fait s’écouler les heures, il fait nuit ou presque. Le vent n’a pas soufflé, la musique de la brèche de Giniol n’est pas venue nous envoûter. Il faut vite redescendre dans la plaine. Il fait nuit.

Maïthé


Platanes civilisés, étêtés en poings fermés cantonnent le parking en gare de Massiac . Mandela vient de mourir, pleurs dans le cœur de ses frères, hommage des chefs d’état. Une longue route étroite, gris anthracite s’inscrit dans le fond de la vallée au milieu d’un damier de prairies rases au vert cru, de champs aux herbes folles toutes fanées et de vergers esseulés. La société EDF tisse ses fils de poteaux en poteaux qui grimpent, grimpent obéissants et bien ordonnés à l’assaut des petits villages perchés. Il a de la poussière sur ses chaussures et a mis la route sous ses pas. Un soleil éclatant éclabousse de milles éclats argentés le courant tonique de la riviére. Des aulnes aux cent troncs la bordent. Un petit pont de pierres tout vieux et tout gracile enjambe élégamment la Sianne. Parait-il que les tracteurs y passent toujours ! Dans le bleu lumineux du ciel, la lune gommée d’un blanc duveteux, attend son heure. Les forêts de chênes accrochés aux coteaux se cramponnent furieusement à leurs feuilles toutes recroquevillées et rouillées. Il marche, un bâton noueux dans la main droite , un manteau de laine bien boutonné jusqu’en haut le protège de l’air vif. Il a le pas régulier et pesant du pèlerin. Un petit oiseau malin se pose un instant dans ses grands cheveux afros un peu fou. Vue plongeante, vertigineuse la route monte, l’horizon dévoile des monts dorés, lumineux légèrement brumeux. Jureuze, le Cohade, le Martelli se signalent. Au milieu de la combe profonde, sur un promontoire, quelques fumées montent vers le ciel limpide. Son gîte est là, il continue. Rolihlahala, était le vrai prénom de Nelson Mandela qui signifie en langue xhosa « fauteur de trouble ». Un arbre majestueux planté seul sur l’herbe rase imprime en filigrane ses branches dénudées sur le ciel immense. Pas de bornage à Madagascar pour délimiter les champs, ici sur le plateau les clôtures courent de piquet en piquet et fils de fer tendus sur les étendus herbeuses gardant les troupeaux de vaches de race Montbéliard, Abondance à lunettes, élevées pour leur lait. En Chine, le réalisateur Jia Zhang-Ke subit la censure. Quimper : lorsque les bretons avancent le symbole des bonnets rouges, c’est la réinvention folklorisée et médiatiquement payante de révoltes anciennes et réactualisées. Avec Omar Souleyman, un vent d’Orient souffle sur l’électro. Balles de foin emballées de plastique gris au bord d’un chemin prêtent peut-être à dégringoler dans la vallée. Quelques traînées neigeuses soulignent les reliefs, la route devient glissante. Il s’arrête, respire à longue goulée, se remplit les yeux de toute cette immensité, écoute le doux murmure du vent. D’épaisses lauzes ancestrales se cramponnent au bord d’une grange, poussées inéluctablement par les nouvelles plus lisses et plus minces. Vert moussu sur les rochers en sous bois, lichen rouge sur les toits, réserves de bois bardés de tôles ondulées et ligotées de ficelle turquoise appellent l’aquarelliste. Le Rocher du Renard est à 1h 45 à pied. Une odeur de feu de bois flotte dans le village. L’unique cafè-épicerie de Molèdes , sur une pancarte blanc écaillé en lettres rouges , s’annonce au-dessus de la porte. Les arbres morts ou sénescents permettent de fournir une quantité de bois morts nécessaire au développement de certaines mousses ou d’insectes, tout en assurant une certaine richesse du sol. Il plie sa grande taille, s’asseoit devant une petite table à la nappe cirée, boit un café dans une petite tasse blanche du Café d’Angèle. La rue de l’égalité tout enneigée conduit au cimetière enceint de pierres grises d’où émergent de nombreuses croix aux branches courtes et identiques . Des portes en ferronnerie ouvragées, dentelées gardent les mystères de quelques chapelles étroites. Eric l’agriculteur passe et repasse sur son tracteur devant le café puis pousse la porte. Un comptoir- épicerie s’amuse de tous les bonbons Haribo qu’il se coltine. Des étagères murales un peu de guingois soutiennent des rangées de conserves, ananas notamment. Eric prend son temps, s’installe. « l’Echo de la Paroisse » traîne sur une table.La tintarela, la pierre qui sonne, la pierre de Gimiol, la pierre de la fertilité résonne dans les oreilles. La Dame blanche, la mal aimée, apparaît parfois à la tombée du jour, hante les bords des routes et des chemins et punit les mal intentionnés en les pétrifiant. Méfie toi manant, si tu n’as pas le cœur pur, la Dame blanche veille ! Un grand poêle noir au long cou roucoule. Derrière le comptoir 1930 « Chalmette-Issoire », un grand miroir aux cotés biseautés et reflets facétieux proposent des lignées d’alcool mordoré à boule-doseur. Montvèze, point culminant avec ses trois croix, coin préféré d’Eric. Angèle, toute simple dans sa robe tablier, s’occupe de ses clients avec bonhomie. Le marcheur, regard bienveillant, écoute : « Tu fais 1000 litres de lait AOP Cantal et ils te donnent 13 euros de bonus, c’est le marché qui fixe les prix, une misère ! » Un vieux chien blanc, tâcheté, pataud, grassouillet , oreilles basses, collier rouge se frotte contre les jambes. A Madagascar, la vanille est très réputée et se cultive sur toutes les terres qui appartiennent à l’état, aux grandes sociétés et le riz nécessaire pour nourrir la population s’achète ailleurs. Quelle erreur ! Eric prend un café dans une petite tasse. Le marcheur, conteur écrivain a beaucoup d’empathie pour les gens qui l’entourent, il les met à l’aise, on pourrait s’en faire un copain, il sait écouter, partager. Produire au plus bas prix étrangle les petits éleveurs, assassine les petits agriculteurs d’ici et d’ailleurs. Jean-Luc Raharimanana écrira des textes inspirés un peu fantastiques comme sa chevelure, il inscrira dans ses mots la couleur des gens d’ici, accompagné par la complainte de la tintarela et du fantôme de la Dame blanche. Le soleil décline, l’ombre de la nuit s’installe, au loin un chien hurle.

Gisèle


Rejoindre Molèdes, c’est apprivoiser le pays coupé, les plateaux de roches que les ruisseaux ont rongés. Terre d’altitude nervurée par le temps et les éléments. Territoires séparés, éloignés les uns des autres si bien que Saint Victor et Sainte Madeleine ne peuvent plus se parler ! si bien qu’on peut habiter à quelques kilomètres et ne pas être du même pays, devenir étrangers sur une même terre. La route sinue comme la pensée. Il faudra entrer dans la lutte contre ces grands groupes, fruits du libéralisme forcé. Ici ils imposent le prix du lait et profitent de leur position de monopole pour voler aux agriculteurs leur liberté et leur indépendance. Là-bas, ils contraignent à la production de vanille pour l’exportation au détriment des cultures vivrières. Ils s’accaparent les terres orphelines et collectives. Madagascar ne connaît ni propriété privée ni relevés de cadastre. Ici les enfants fuient l’immensité des plateaux sans avenir. Là-bas, il s’interroge, il s’inquiète du devenir de ses proches. Devant la voiture, surgissent une biche et son petit, peu farouches, ils s’immobilisent dans le pré voisin. La faune sauvage a trouvé un milieu favorable. La forêt s’est accrochée partout dès que la pente augmente. Quelques résineux. Des chênes aussi, ils ont conservé leurs feuilles grisâtres pour protéger leurs bourgeons des rigueurs de l’hiver. Sur le plateau, la forêt n’a pas pu lutter contre le défrichement. L’homme doit exploiter toutes les ressources disponibles pour la rentabilité de sa ferme. Le vent souffle fort, rien ne l’arrête. Le vent emporte la voix du poète lorsqu’ils arrivent au Mont Vèze. Là-haut, la vue ramène aux racines, au territoire de collines de la grand-mère, à Madagascar. Ils observent les essences locales et racontent les légendes des pierres. Celle de la Dame Blanche qui pétrifie près d’un pont les garçons trop rapidement amoureux. Celle qui sonne et qui apporte aux femmes la fertilité. Ici la journée se termine chez Angèle, autour d’une salers ou d’un café. On raconte ce qui fait une journée, on feuillette l’écho des paroisses, on rit, quelques étrangers ont sorti un carnet et notent avidement, le poète n’avait qu’un appareil photo. Parfois un silence, parfois les voix s’entrechoquent. Angèle appuyée sur son meuble, écoute.

igor


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