David Foenkinos : Les souvenirs

Mardi 23 juin 2015

On marchait ensemble dans les couloirs de la maison de retraite. Mon regard regard s’arrêtait toujours sur les croûtes accrochées aux murs. Leur vie était déjà suffisamment assez dure, je me demandais pourquoi ils infligeaient aux résidents une double peine visuelle. La plupart étaient des paysages déprimants, des terres idéales pour provoquer une avalanche de pulsions suicidaires. Il y avait aussi un tableau avec une vache. Le peintre devait être un pensionnaire et on l’exposait pour lui faire plaisir. Après renseignement, non, personne ne savait qui avait peint cette horreur, ni pourquoi elle était pendue là. On ne se souciait pas de l’esthétique. Mon dégoût pour ce tableau allait pourtant provoquer chez moi une étrange réaction : à chacune de mes visites, je ne pourrais faire autrement que de m’arrêter devant pour le contempler. Cette vache faisait maintenant partie de ma vie. Elle serait, pour toujours, le symbole de la laideur.(…)

Je partageais cette obsession avec ma grand-mère, et ce dégoût commun nous poussait à rire. Les jours où je sentais qu’elle allait mal, où je respirais son malheur d’être là, je m’approchais d’elle pour chuchoter : « Tu veux qu’on aille voir la vache ? ça te ferait du bien ? » Et elle souriait.


"Et il s’appelle comment mon petit-fils ?
 Heu…
 Quoi ?
 On a pas encore choisi…" (…) J’ai pensé à tous les artistes que j’admirais. Fédor comme Dostoïevski, Frank comme Zappa, François comme Truffaut, Albert comme Cohen, Woody comme Allen, Igor comme Stravinsky, Gérard comme Depardieu, John comme Lennon, Miguel comme Indurain, Wayne comme Shorter, Willem comme de Kooning, Aby comme Warburg, Alain comme souchon, Max comme Jacob, Rüdiger comme Vogler, Milan comme Kundera, Kazimir comme Malevitch, Zinédine comme Zidane, Witold comme Gombrowicz, Serge comme Prokofiev, Paul comme Eluard, Wassily comme Kandisky, Philip comme Roth, Pierre comme Desproges, Bruno comme Schulz, Michel comme Houellebecq, Chet comme Baker…et…Louise a coupé ma réflexion :« Il faut l’appeler Paul ». Nous nous sommes mis d’accord sur ce prénom (il était dans ma liste.)

Vos témoignages

  • 24 juin 2015 14:56

    Plus nous regardions les vaches plus nous nous haïssions. À quoi aurions-nous ressemblé sans les vaches ?

    Elles inondent les prés de leur géométrie massive et lente. Toutes les fois où les vaches pensent à la mort, quelqu’un tue une vache. Dans chaque vache il y a quelqu’un à tuer. Un monstre à sacrifier qui n’est pas la vache elle-même mais très probablement nous-mêmes.

    Nous disons : si la vache maîtrise le langage – et donc son application – elle doit forcément savoir ce que signifient les mots. Et nous la frappons sans retenue quand elle ne sait pas et qu’elle ne vient pas à l’appel de son nom de vache.

    Probablement que les vaches nous rappellent impitoyablement quelqu’un. Les vaches ont trouvé ennuyeux de n’aimer personne. Pourquoi aiment-elles ce qu’elles aiment sinon pour ne pas aimer personne, sinon pour ne pas mourir seules – ce à quoi elles n’échapperont pas ?

    Le poison ce fut d’espérer qu’elles puissent exprimer un jour ce qu’elles aimaient.

    Frédéric Boyer : « Vaches »

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