Ian McEwan : Dans une coque de noix

Samedi 16 janvier 2021 — Dernier ajout dimanche 29 août 2021

Il y a quelque chose de pourri au royaume d’Angleterre du XXIe siècle… Après L’intérêt de l’enfant, Ian McEwan n’en finit pas de surprendre et compose ici, dans un bref roman à l’intensité remarquable, une brillante réécriture d’Hamlet in utero.
Note de l’éditeur

Là où je suis, je rêve de ce à quoi j’ai droit : la sécurité, la paix insouciante, l’absence de corvées, de crimes ou de remords. Je pense à ce qui m’était dû pendant mon confinement. Deux notions contradictoires m’obsèdent. J’en ai entendu parler lors d’une conférence podcastée que ma mère écoutait tout en téléphonant. Nous étions sur le canapé de la bibliothèque de mon père, aux fenêtres grandes ouvertes sur une nouvelle demi-journée étouffante. « L’ennui n’est pas loin de la jouissance : il est la jouissance vue des rives du plaisir », disait un certain M. Barthes. Exactement la condition du fœtus moderne. Réfléchissez un peu : rien à faire sauf exister et croître, la croissance étant un processus à peine conscient. La joie de l’existence à l’état pur, l’ennui des journées indifférenciées. La jouissance qui dure est une forme d’ennui existentiel. Ce confinement ne devrait pas être une prison. Là où je suis, on me doit le privilège et le luxe de la solitude. Je parle en tant qu’innocent, mais j’imagine un orgasme éternellement prolongé – le voilà, l’ennui, au royaume du sublime.


La vengeance : une pulsion instinctive, puissante – et pardonnable. Insulté, trompé, estropié, nul ne peut résister à l’attrait de noires pensées vengeresses. Et dans une telle extrémité, après le meurtre d’un proche bien-aimé, ces fantasmes sont incandescents. Nous sommes des êtres grégaires, à une époque nous nous tenions mutuellement à distance par la violence ou sa menace, telle une meute de chiens. Nous naissons avec cette prédisposition délectable. À quoi sert l’imagination, sinon à simuler les possibilités les plus sanglantes, à s’y complaire, à les répéter ? On peut cent fois assouvir sa vengeance pendant une nuit d’insomnie. La pulsion, l’intention rêvée sont humaines, normales, et nous devrions nous pardonner à nous-mêmes.

Mais la main levée sur autrui, la violence d’un passage à l’acte sont maudits. C’est mathématique. Il n’y a aucun retour possible au statu quo ante, aucun remède ou soulagement exquis, en tout cas rien de durable. Seulement un second meurtre. Avant de t’embarquer dans un voyage vengeur, creuse deux tombes, disait Confucius. La vengeance défait la civilisation. C’est le retour à une peur constante, viscérale. Regardez les malheureux albanais, périodiquement victimes du kanun, leur culte idiot de l’affront lavé dans le sang.

Ian McEwan : Dans une coque de noix, Gallimard 2017, pages 86-87 et pages 146-147.


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