Une très grande dame a marché solitaire dans un village du bout du monde. Être écrivain pour dire cela, ce serait déjà un miracle. J’ai rêvé, enfant, de devenir cet écrivain-là. Quand la mort est venue la prendre, elle ne nous a rien dit. J’ai vu une dernière fois son beau visage dans le sombre d’une chambre où des proches étaient au garde-à-vous. Une lumière d’or nous illuminait tous et ses deux mains, croisées sur sa poitrine, nous désignaient tout simplement l’immense : elle avait porté le monde dans ses deux paumes.
Chaque matin, je reçois le bonjour d’un lézard sur le seuil de la maison dont les portes restent ouvertes sur le jardin. A leur guise, vent et soleil entrent et sortent. Il en est ainsi de la lumière, de mes pensées. Le lézard me regarde dans les yeux quelques secondes puis regarde le ciel où le bleu est si pur. Son corps est souple comme un nuage. Il détend ses pattes minuscules afin de laisser glisser les heures sous son ventre. Il connaît par cœur la leçon du jour et sait ainsi que l’attente est vert. Sa peau regorge de soleil. Rien ne le dérange plus sauf une pauvre fourmi qui veut grimper sur son flanc droit. En vain. Le lézard est le premier poème écrit sur la pierre du matin. Sous l’ombre qu’il dessine sans bouger, je lis les rigueurs de l’hiver dernier où mon cœur était empli de neige, de mauvais souvenirs.
Joël Vernet : Rumeur du silence, Fata Morgana, 2012, page 22 et 23.