Jenny avait brusquement accéléré son rythme de travail ; elle avait enfin trouvé la première phrase qui bouillonnait en elle depuis la nuit ou elle avait débattu de la concupiscence avec Garp et Charlotte, une vielle phrase, en fait, surgie de sa vie d’antan, et ce fut par cette phrase qu’elle commença pour de bon le livre qui devait la rendre célèbre.
“Dans ce monde à l’esprit sordide, écrivit Jenny,une femme est toujours soit l’épouse soit la putain d’un homme - ou en passe de devenir l’une ou l’autre, et vite.” La phrase donnait un ton au livre, ce qui alors lui avait fait défaut ; Jenny découvrit que, lorsqu’elle eut achevé cette phrase, une sorte d’aura parut soudain illuminer son autobiographie, soudant du même coup les fragments disparates de sa vie - à la façon dont le brouillard enveloppe un paysage tourmenté, ou dont la chaleur envahit peu à peu toutes les pièce d’une grande maison. Cette phrase en inspira d’autres de même facture, et Jenny les tissa comme elle aurait pu tisser une trame lumineuse et éclatante dans une tapisserie informe et dépourvue de thème apparent. “Je voulais travailler et je voulais vivre seule, écrivit-elle. Cela me rendit, sexuellement parlant, suspecte.”