Le ciel par-dessus le toit : Natacha Appanah

Mardi 19 novembre 2019 — Dernier ajout dimanche 3 mai 2020

« Sa mère et sa sœur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c’est maison d’arrêt mais qu’est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec œilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu’entre les murs. Elles imaginent ce que c’est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là. »

Comme dans le poème de Verlaine auquel le titre fait référence, ce roman griffé de tant d’éclats de noirceur nous transporte pourtant par la grâce de l’écriture de Nathacha Appanah vers une lumière tombée d’un ciel si bleu, si calme, vers cette éternelle douceur qui lie une famille au-delà des drames.

Gallimard

Je me tiens au centre de ce que je ne veux pas nommer
Si je dis le vrai nom des choses qui habitent ici
La beauté la tendresse et l’imagination s’envolent à travers la fenêtre
J’oublie parfois pourtant
Voici son lit, voilà une chaise, ici une cuvette
Dehors des bruits de bottes et des clés qui tournent
Tiens, quelque chose au coin de mon œil
C’est une blatte si noire et absolument immobile
Il y a des tâches sombres sur le mur où est fixé le lit je sais ce que c’est
Je sais comment elles naissent et si je reste ici assez longtemps je finirai par laisser une trace moi aussi
Quelle forme prendrais-je sur le mur
Est-ce que d’autres que moi essaieraient de deviner
Comme dehors on s’allonge sur l’herbe et on démasque les nuages
Ils diraient je vois je vois
Un chien un insecte un serpent
J’aimerais tant que ce soit autre chose
Un ciel une étoile un rêve
Derrière moi une voix aiguë s’élève
Salaud enculé ta race
Je ferme les yeux et lentement chaque chose ici laisse tomber son nom
Le mien aussi je l’oublie peu à peu
Je ne suis rien qu’un garçon de l’ombre
Chaque son se ramasse flétrit s’éteint
Bientôt ne reste plus que le bruit blanc que fait mon cœur

Ecrou 16587, maison d’arrêt de C.

« Ce dont le docteur Michel se souviendra toujours, c’est de ce tatouage immense qui semble gober toute la lumière de ce matin de septembre et la fait rejaillir en éclats vert et orange dans toute la pièce. Il est littéralement stoppé par cet effet kaléidoscopique et pendant quelques secondes il ne sait quoi faire, de sa mallette, de ses bras, de ces mots qui allaient sortir de sa bouche et qui s’en trouvent soudain empêchés. Pressé par Jeanne dans son dos, il entre dans la pièce et réalise que c’est un énorme dragon qui grimpe sur le dos de la femme. »

"Dehors la nuit s’est abattue avec le sifflement d’une lame aiguisée, exactement comme avant dans son enfance, dans cette maison qui lui avait toujours fait peur, avec ce jardin horrible où il y avait un creux. Son frère et elle jouaient autour de ce creux là mais ils jouaient toujours avec la peur au ventre, la peur de basculer la tête la première. Et si ce creux était fait de terre mouvante ? Et si ce creux était une bouche ? Et si ce creux grandissait pendant la nuit ? Toutes ces questions qui laissaient leur mère insensible parce qu’elle était comme ça, elle disait une chose une fois et après il ne fallait plus l’embêter. C’est juste la terre qui s’est affaissée un jour, c’est tout. De l’autre côté de la maison, il y avait le garage et l’entreprise de pièces détachées et ça sentait le pneu, l’essence, le métal, la sueur. Et sa mère si belle au milieu de toute cette crasse."

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