Pour la première fois, il prit la mesure de ce qu’il avait sous les yeux. A deux cents mètres au dessus du niveau de la mer, il était fasciné par la chute vers cet océan qui venait s’écraser contre la falaise en contrebas. L’eau jaillissait telle de la peinture blanche, aussi épaisse que du lait, et l’écume disparaissait parfois assez longtemps pour révéler l’immensité d’une sous-couche d’un bleu profond. A l’autre bout de l’île, une rangée de brisants gigantesques créait une barre contre la houle, ce qui laissait l’eau, en aval, aussi lisse que celle d’une baignoire. Il avait l’impression d’être suspendu dans le ciel, plutôt que dressé sur la terre. Très lentement, il effectua un tour complet sur lui-même, embrassant du regard le néant qui l’entourait. Il avait la sensation que ses poumons ne seraient jamais assez grands pour inspirer autant d’air, que ses yeux ne pourraient jamais voir autant d’espace, de même qu’il ne pourrait jamais entendre toute la puissance de l’océan roulant et rugissant. L’espace d’un bref instant, il n’eut plus aucun repère. (p57)
autres citations : Un phare, ça fonctionne pour les autres ; il est impuissant à éclairer l’espace le plus proche de lui.
Il y a des moments où l’océan n’est pas l’océan -ni bleu, ni même aqueux-, mais une violente explosion d’énergie et de danger : une férocité que seuls les dieux peuvent atteindre. Il se rue contre l’île, projetant son écume par-dessus le phare, rongeant la falaise. Le vacarme qu’il produit ressemble au hurlement d’une bête dont la colère ne connaît pas de limites.