Maylis de Kérangal : réparer les vivants

Jeudi 19 juin 2014 — Dernier ajout vendredi 7 janvier 2022

Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour. Note de l’éditeur

Il a tout de suite su que c’était elle - air sonné, regard vrillé, joues mordues de l’intérieur - de sorte qu’il ne lui a pas demandé si elle était la mère de Simon Limbres mais lui a tendu la main en hochant la tête : Pierre Révol, je suis médecin dans le service, c’est moi qui ai admis votre fils ce matin, venez avec moi. D’instinct, elle marche tête baissée sur le linoléum, sans un regard latéral qui irait trouver son enfant au fond d’une pièce obscure, vingt mètres côte à côte dans le couloir bleu lavande et puis c’est une porte ordinaire que renseigne une étiquette au format de carte de visite, et un nom qu’elle ne déchiffre pas. Ce dimanche, Révol a délaissé la Salle des familles qu’il n’aime pas beaucoup, et reçoit Marianne dans son bureau. Elle reste plantée debout, finit par s’asseoir sur le rebord de la chaise pendant qu’il contourne le meuble pour se glisser dans son fauteuil, buste en avant coudes écartés. Plus Marianne l’observe, plus s’effacent les figures croisées depuis son arrivée à l’hôpital - la femme monosourcil de l’accueil, la jeune infirmière stagiaire des urgences, le médecin à col rose -, comme si elles ne s’étaient relayées que pour la conduire à ce visage, superposées les unes aux autres jusqu’à n’en former qu’un seul, celui de ce type assis devant elle, prêt à parler.

Maylis de Kérangal : réparer les vivants, Verticale, 2014, pages 59-60.

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Vos témoignages

  • michelle foliot 18 septembre 2014 22:42

    Dès la rentrée littéraire de janvier, nous avions été transportés par ce souffle, cet art de prendre à bras-le-corps un sujet fragile et essentiel - la transplantation cardiaque - pour en faire une chanson de geste sur la transmission sous toutes ses formes. Joie des jurés-étudiants confirmant le destin de ce livre que nous disions promis à circuler de corps en corps, de cerveau en cerveau, porteur d’une grande force de vie. Que (les étudiants) vous ont-ils appris ? Me renvoie à la façon dont, moi, suis présente dans mes livres, et aux dispositifs et aux évènements que je mets en place pour y apparaître ou en disparaître. La notion de groupe, du collectif, a t-elle toujours été importante pour vous ? "Je n’ai pas du tout le culte de l’auteur travaillant seul dans sa tour d’ivoire. Mes embardées sont souvent collectives, parce que l’écriture est effectivement un métier assez solitaire. Pour écrire, je suis forcée de me retrancher dans un espace-temps protégé, alors je conserve ces fenêtres sur le collectif, qui permettent de recharger ma présence au monde. Ce mouvement entre l’intérieur et l’extérieur est omniprésent dans vos livres.. A un moment donné, j’ai identifié une piste. Après mes deux premiers romans, tous les deux écrits avec un « je » narratif, quelque chose s’est déchiré et éclairci en même temps : le refus de passer par l’introspection. Quelque chose alors s’est ouvert, que j’ai conservé. Je me suis calée dans une écriture où je décris tout ce qui se passe. J’ai trouvé une très grande joie dans la description. Les personnages sont présents et s’incarnent par ce qu’ils montrent. C’est une écriture phénoménologique, qui prend en compte tout ce qui se manifeste. J’avais lu un livre de Jean-Louis Chrétien, La joie spacieuse, qui dit que les corps sont les messagers des psychés, que les gestes sont les porte-parole des intériorités. J’ai senti une forme de liberté à pouvoir poétiser la matière, une justesse et une confiance. A partir de là, tous mes livres se sont écrits sur ce mode". Les sujets de vos romans ne semblent pas d’emblée romanesques.. Pour moi, le choix d’un sujet est toujours amorcé par un désir de matière. Où est-ce que je veux me placer pendant un certain temps de travail : dans le lent, dans le rapide, dans le clair, dans le sombre ? A l’origine d’un roman, j’ai toujours des désirs très physiques, matériels. Et une envie d’espaces. Tant qu’il n’y a pas les espaces, il n’y a pas de livre possible. Réparer les vivants aurait pu s’appeler Souvenirs de la maison des morts.. Le livre s’est imposé parce que j’ai vécu une série de deuils rapprochés. J’ai essayé de donner une forme à cette expérience que j’avais traversée, et qui a donné le climat du livre. D’où l’atmosphère du début de l’histoire, avant l’accident mortel du surfeur : des ciels tourmentés, une matière sombre, organique, magmatique. Cette mer de nuit, cette mer d’aube est un motif de la mort.

  • michelle foliot 9 août 2014 18:45

    Sans avoir fait de lecture, mais que je me promets de faire, on est dans un climat d’angoisse : le milieu hospitalier, la maladie. Mais aussi quelle n’est pas la responsabilité du médecin de dire ; faut-il dire ou non la vérité ? comment sent-il ses patients ; l’entretien avec, est sans doute déterminant ; Comment nous-même souhaitons nous recevoir le verdict ? est-ce un soulagement ou au contraire un poids supplémentaire ? Il n’y a sûrement pas de généralités devant ces situations ; il serait souhaitable que chaque cas soit étudié comme un cas particulier, ayant pour but d’accompagner le patient. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

    • Maylis de Kérangal : réparer les vivants 20 septembre 2014 19:38, par michelle foliot

      ce livre est passionnant : presque tous les sujets de la vie y sont traités. Pour ma part, j’ai choisi le thème de l« urgence » :

      • d’agir (après l’accident)
      • dans l’annonce de la nouvelle
      • de la continuation de la gestion du quotidien malgré tout
      • d savoir
      • dans les couloirs du Centre hospitalier, des personnels infirmiers et médicaux
      • du rapatriement du corps
      • du diagnostic
      • de la vérité
      • de la décision des parents : donner les organes de leur fils ou pas
      • de trouver un receveur
      • de contacter les hopitaux
      • d’intervention, du prélèvement des organes
      • du transfert de ces mêmes organes
      • de la transplantation
      • de vivre, donnée au receveur On comprend qi’il ait plû à la jeunesse
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