Il a tout de suite su que c’était elle - air sonné, regard vrillé, joues mordues de l’intérieur - de sorte qu’il ne lui a pas demandé si elle était la mère de Simon Limbres mais lui a tendu la main en hochant la tête : Pierre Révol, je suis médecin dans le service, c’est moi qui ai admis votre fils ce matin, venez avec moi. D’instinct, elle marche tête baissée sur le linoléum, sans un regard latéral qui irait trouver son enfant au fond d’une pièce obscure, vingt mètres côte à côte dans le couloir bleu lavande et puis c’est une porte ordinaire que renseigne une étiquette au format de carte de visite, et un nom qu’elle ne déchiffre pas. Ce dimanche, Révol a délaissé la Salle des familles qu’il n’aime pas beaucoup, et reçoit Marianne dans son bureau. Elle reste plantée debout, finit par s’asseoir sur le rebord de la chaise pendant qu’il contourne le meuble pour se glisser dans son fauteuil, buste en avant coudes écartés. Plus Marianne l’observe, plus s’effacent les figures croisées depuis son arrivée à l’hôpital - la femme monosourcil de l’accueil, la jeune infirmière stagiaire des urgences, le médecin à col rose -, comme si elles ne s’étaient relayées que pour la conduire à ce visage, superposées les unes aux autres jusqu’à n’en former qu’un seul, celui de ce type assis devant elle, prêt à parler.
Maylis de Kérangal : réparer les vivants, Verticale, 2014, pages 59-60.
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