Mireille CIFALI et Alain ANDRE : écrire l’expérience

Vendredi 8 juin 2012

De l’accompagnement

Notre commune posture peut se spécifier en ces termes : tenir un dispositif, organiser un travail en groupe, être le garant de l’un et de l’autre. Nous nous demandons comment permettre l’écriture, sa mise en mouvement. Nous croyons que la place de l’officiant est à travailler. Elle n’est pas stable, ne s’identifie pas à un rôle bien ciblé. Dans cette mise en action de l’écriture, sommes nous formateurs ? ou bien enseignants ? ou animateurs ? analystes de travail ? dynamiciens de groupe ? thérapeutes ? écrivains ? Et jusqu’à quel point ? Comment cette posture se travaille-t-elle ? En vérité, chacune de ces positions nous concernent. (…)

En quoi consiste cet accompagnement ? (…) Accompagner serait aller avec, être à côté de, donner une place à l’autre, partir de l’autre et pas de soi. « Aller avec » évoque un professionnel qui se déporte vers le chemin de l’autre. Il est là, présent, permettant qu’un autre traverse l’épreuve, le moment, l’évènement. L’autre pourrait ainsi « compter sur » l’accompagnateur mettant à son service le savoir qu’il possède. Accompagner signifierait que l’on a intégré le fait que l’on ne peut pas agir et décider à la place de quelqu’un : que, sur certains registres de la vie, on ne peut contraindre, qu’il faut « aller avec », dans le mouvement imprimé par un autre. On propose, on accueille, on suggère, on renonce à l’injonction. Avec accompagner, on s’éloignerait, aussi, de la prise de pouvoir sur autrui. (…)

Le terme d’accompagnement souhaite ainsi mettre à l’abri d’une violence habituellement inscrite dans la rencontre. Il connote l’altruisme, le respect, la bienveillance. (…) Où commencent les dérives et les pièges possibles ? Peut-être dès le fait de vouloir ainsi faire l’économie de l’affrontement, de l’imposition, de l’insistance, de l’influence et surtout de toute violence. Peut-être dès cette tentative d’estomper les hiérarchies du savoir en diluant la relation d’autorité. Ne comporte-t-elle pas le risque de la paralysie, si on laisse l’autre tel qu’il est, sans oser le débusquer de sa cécité ou de son enfermement éventuels ? Le terme d’accompagnement ne vient-il pas limer un peu trop l’aspérité de la rencontre ? Il peut être nécessaire parfois d’avancer par la confrontation, indispensable de ne pas nier ses propres savoirs et ressources. (…)

Pour un animateur d’ateliers d’écriture, la première compétence consiste à savoir déclencher l’écriture d’autrui : à être « un bon conducteur du désir d’écrire ». Elle repose sur une culture personnelle de l’acte d’écrire et de ses enjeux, qui peut paraître reléguer au second plan les savoirs dans le domaine de la pédagogie et de la dynamique des groupes, sans parler du travail et de l’analyse des pratiques professionnelles. L’animateur est celui qui suggère qu’il est capable de répondre de façon pratique, pour autrui, à cette question qui embarrasse parfois l’écrivain lorsqu’elle concerne son propre travail : celle du processus : de la mise en place des conditions de son « accouchement ».

Mireille CIFALI, Alain ANDRE : écrire l’expérience , PUF (2007), pages 41, 45, 46, 49-50

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Vos témoignages

  • michelle foliot 26 août 2012 13:40

    Très intéressant sur la difficulté « à transmettre » aux autres et à recevoir, à analyser, à décortiquer, à fixer les limites. Pour l’auditeur, la place qu’il occupe en dépend et peut parfois l’encourager lui et le groupe.« Donner l’envie d’écrire » c’est bien comme cela que je le perçois. Ce résultat ne peut effectivement aboutir que s’il est accompagné d’une dynamique ; sinon écrire pour passer le temps, tester sa mémoire, se faire plaisir me paraît insuffisant. Je crois que le geste d’écrire m’a touché peut-être faut-il encore un peu de temps ou qu’il soit associé à autre chose

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