Rolande Reveyrand anime ponctuellement des ateliers à l’association Tisseurs de mots.
La proposition
Mur frontière ou murs refuge
Les murs sont-ils fait pour écrire dessus ?
Petit tour de table/Présentation des participant(e)s et animatrice, si nécessaire
lister expressions contenant le mot mur
Chaque participant(e) lit sa liste.
Pas de retour, mais chaque participant(e) retient une expression de chaque liste
« Les murs porteurs », lecture des paroles (ou écoute, si possible)
de la chanson de Florent Pagny
Lecture par l’animatrice de quelques petits textes de Philippe Jaccotet
étalage de copies en noir/blanc de PHOTOS d’ICI et d’AILLEURS
à choix, pouvant servir de support, d’inspiration…
Proposition :
A ciel ouvert, dans cette cour intérieure des ex-thermes de Brioude,
écrivez (sur)votre/vos murs
en vers et/ou en prose
qu’il(s) soi(en)t gris ou rose(s)
peignez-le(s) avec vos mots et/ou vos maux
en insérant dans votre texte une des expressions retenues précédemment
lecture(s) « slamée(s) » bienvenue(s) des textes !!!
Les textes
Texte de Martine
Entre sable et ciel
Ruban de pierres
Entre deux airs
Effondrement
Creuse est la dent
Volent les papiers
Murs légers
Entre terre et nuages
Opaque hauteur
Lisse façade
Mur d’art
Sans armure
Pigments voyageurs
11 : 57
Un départ
Transparence
Aller au bout
Voyage dans le mur
Au cœur du grain de sable
Sans scrupule
De quelle dune ?
Atlas ou Néguev ?
La marche m’attrape
Entre sable et ciel
Plus de frontières
Un pas, une piste
Une halte ?
Ma pensée flotte
Vers l’oasis
Sueur-sueur
Un pas, un autre
La caravane ondule
Sans palanquin
Ma pensée coule
gouttes salées
rides humides
lèvres asséchées
Pesanteur
Touffeur
Vide
Et revient le mur
Ruban de béton
Tagué jusqu’au menton
« Tu crois quoi ? »
Mots noirs
Cris sortis
d’une bouche muette
« Je crois quoi, moi ? »
Question qui transperce
Réveil en sursaut
Coincée, là – je
suis là tout contre
contre le mur des lamentations
Balancements obsédants
Balancements
Papier plié et replié
Papier glissé, coincé
Entre !
Rejoins-les !
Loin des cendres
Te voilà arrivée
11 : 59
Découdre les murs
Découdre l’histoire
Aérer, déplier
défroisser, rapetasser
Regarder
Œil neuf
Sans passé
Quel sens ?
Murs et repères
Constructions
Effondrements
Au cœur de cette dent creuse
Parois blanchies de chaux
J’erre
Sans passé, sans mémoire
qui suis-je ?
Aller au bout du mur
jusqu’à la perte
jusqu’au vide
Et
Attendre
Micro insecte
En traversée sur ma page blanche
* Un désert pour lui –
« Tu crois quoi ? »
Peut-être
suivre son chemin…
un pas, puis un autre
Infiniment petit
Infiniment
infiniment
Texte de Pierre
Le repas pris en commun touche à sa fin. On ne l’attendait pas et voilà qu’elle est là. Nous l’invitons à s’asseoir à la table, mais non, elle ne fait que passer. Juste le temps de se pencher et pour passer, elle passe, l’amie lointaine… Comme un relais, de sa bouche à mon oreille, passe la terrible merveille d’une chose entendue…
Elle dit Ecoute, je trouve cette phrase extraordinaire, c’est une jeune fille originaire de Syrie qui m’a dit : « Il y a six ans, j’ai lancé un boomerang, et je vis maintenant sans arrêt dans la peur ». Et… comment dire ? Comment dire le miracle de ce passage, cette impression de l’autre en soi ? De l’oreille, le témoin passe dans la mémoire, et je revis l’instant crucial …
Il y a cinquante et un ans, j’ai pris un avion pour en finir avec la guerre et j’ai vécu longtemps avec la peur de son retour de bâton, du retour de canon, ou d’avion, de la guerre.
Aujourd’hui je prends l’avion du retour au pays pour en finir avec la peur. Un pont est jeté sur le fossé d’un demi siècle. Je parcours les rues de mon village. Un homme jeune m’ouvre la porte de la maison qui fut la mienne, enfin… celle de mes parents ! J’ai usé mes semelles, j’ai écorché mes genoux, dans ces rues, j’ai passé mon enfance entre ces murs. Rien n’a changé, regarde, me dit mon hôte, et il me conduit dans une pièce… Il y a très longtemps, cette chambre était la mienne, et tout a changé bien sûr, les meubles ont disparu, la pièce a la nudité de l’habitat arabe, mais les murs apparemment sont pareils…
Mon hôte me conduit devant le mur du fond et il me désigne une… un… Le mot me manque pour désigner la chose. C’est une écorchure, un accroc, dans le plâtre, un dessin en creux à un endroit où le revêtement est parti, une miniature dans une niche de deux ou trois centimètres de large… Deux ou trois millimètres de profondeur témoignent de ce qu’était le mur si on remonte cinquante ans en arrière… C’est rond c’est abstrait, de l’ocre lumineux en méandres lovés dans une cavité d’ombre… Un médaillon, voilà, c’est ça, une cicatrice dans un médaillon… Une calligraphie peut-‐être… une calligraphie où je ne m’y connais pas. Cela n’a aucun sens pour moi : un détail du tableau, rectangle blanc sur fond blanc… Ce détail perdu dans cette surface, preuve, selon mon hôte, de je ne sais quelle conservation de l’histoire, est frappé au coin du non-‐sens pour moi. Je le regarde à peine parce que c’est l’autre mur que je veux voir.
Le mur de la fenêtre ! C’est là qu’était mon lit. Là que l’enfant que je fus a dormi, là qu’il s’est battu contre les crises d’asthme et les fantômes de la guerre. C’est là que je me revois ! C’est ce lieu que j’ai tenté de retrouver dans ces impros de théâtre où l’exercice obligé consiste à revenir, adulte, dans sa chambre d’enfance.
Sur ce mur, au-‐dessus de mon lit, à hauteur de ma tête, il y avait un dessin gravé dans le plâtre… J’ai longtemps attribué ce dessin à un de mes cousins, venu dormir à la maison, et auquel on avait attribué mon lit pour l’occasion. C’était de l’art pariétal dans toute sa naïveté. Mon Picasso, je disais (j’avais une connaissance limitée de l’histoire de la peinture à l’époque !). Un Picasso ébauché à grand traits de couteau qui avait entaillé le plâtre. On pouvait y voir ce qu’on voulait ! J’y voyais pour ma part des figures magnifiques, grossièrement ébauchées. Il y avait cette trompe d’éléphant, ces défenses, qui me transportaient chaque soir dans la brousse, je partais au fin fond de l’Afrique avant de m’endormir…
Non, ce n’est pas ce mur, ai-‐je dit à mon hôte, c’est l’autre ! Et je me suis précipité vers « mon mur », côté fenêtre, pour reculer aussitôt, parce que je n’y voyais rien. La gravure ancienne avait disparu. Le mur avait tourné la page. J’avais devant moi la page blanche d’avant toute écriture. Aucun rêve d’enfant n’était imprimé là. Retour brutal sur la terre. Rien n’a changé, mais plus rien n’est pareil !
Et voilà qu’aujourd’hui, revenu dans ma vie de l’autre côté de l’amer, dans cet autre présent de l’espace mental, je me prends à rêver de ce que j’ai raté. Au lieu de regarder, au lieu de lire ce qui m’était offert, sur la page murale dont le présent me faisait présent, j’avais voulu revoir ce qui était dans ma tête, et qui n’existait plus…
Aujourd’hui est un autre aujourd’hui. Je développe ce que j’ai à peine regardé. J’ai agrandi la photo que je n’ai pas prise. Cette miniature pariétale se développe sur la scène du théâtre mental, et tu vois ces chevaux, ces crinières de feu, ce sont les chevaux que ton père ferrait, et, en même temps, c’est Lascaux, c’est Chauvet !… Et tu entends la voix de Brel. On te montrait Lascaux et t’as pas vu Lascaux. Tu n’as pas vu Lascaux parce que tu as voulu voir Picasso ! Dans ton vécu personnel, il y avait cette chronologie aberrante : Picasso passait avant Lascaux !
Il arrive qu’on ne voit que ce que l’on veut voir. On rate, comme ça, on rate la proposition nouvelle, et c’est trop tard, après. Je ne faisais que passer devant elle et je n’ai pas su m’arrêter, c’était peut-‐être une merveille ! Il y a à présent une mer entre nous…
Comment faire le mur pour aller de l’autre côté ? Comment refaire ce mur ? Me voilà condamné à réinventer la découverte de cet ancien monde dont je me suis écarté, alors que je venais à peine d’accoster. Si ça se trouve, mon hôte avait raison : tout le passé était peut-‐être en cette tache. Cette trace, cette cicatrice, ce médaillon… Comme la vie de Proust en une sensation, l’instant de tous les instants et du temps retrouvé, un univers dans une écorchure… comme en cette nouvelle de Borges, le lieu de tous les lieux, les édens, les îlots où la vie fait naufrage, avant de s’en aller…
Et j’ai raté cela ! Le sens de ma vie, si ça se trouve, était là. Un univers dans une trace… Une tache !… Le sens même de mon texte dans un passage raté, dans un mot raturé !… Ce que je n’ai pas su regarder, ce que je n’ai pas eu le réflexe de prendre en photo, si ça se trouve, tout était là, dans ce … dans cette… Un aleph ! La référence littéraire vient combler après coup la faillite du lexique ordinaire… Borges… L’Aleph… L’imagination fait jouer ses vases communicants, le vide fait le plein, et… comment dire… ce creux, ce manque, — retour du refoulé au sein de son évacuation même ? — c’est cela peut-‐être qui contient tout ! Toute ma vie, condensée là, se serait développée, si j’avais su regarder par ce trou. Alors, peut-‐être, se serait rouverte la serrure bouchée… Tout est peut-‐être dans ce peut-‐être, mais cela, ça, comment le dire avec des mots ?
Texte de Marie-Paule
les pierres
se lever à la fenêtre se pencher ancrer ses pieds déchirer les voiles de la nuit en poupe
éveiller un espoir dans la chaleur des pierres s’adosser tendrement à ces murs improbables y laisser une empreinte molle et douce en creux
une trace esseulée un destin animal un écho de chanson
s’accroupir s’avancer au bord de soi chercher des angles où prendre appui ceux qui restent debout parmi les ruines des histoires y accrocher des lampes pour voir clair
les paumes humides s’égratigner à la rugosité s’interroger sur la durée des roches plonger dans son magma intérieur au pied du mur se hisser et grandir
léviter en songe jusqu’à vouloir toucher l’oiseau libre qui passe un chant de tourterelle fidèle et sédentaire répète ses mots à elle patiemment
les graver, les inscrire avec un clou de cuivre tout en haut dans les joints à la chaux là où pour lire le cou se casse
et tranquille se reposer près de l’olivier en pot imaginer la lenteur de sa croissance et hors des murs la mer respirer grand dedans.