Questions d’atelier (1) : pourquoi désire-t-on faire écrire les autres ?

Lundi 19 novembre 2012

Dans « questions d’atelier », je propose d’engager une réflexion autour de problématique d’animation d’ateliers d’écriture. Ce questionnement et les essais de réponses apportées engagent davantage son auteur que l’ensemble de l’association Tisseurs de Mots.
Premier volet : pourquoi désire-t-on faire écrire les autres ?

Parce qu’animer un atelier d’écriture c’est faire écrire les autres, questionner l’origine et la motivation de ce désir s’impose, Parce que la place de l’animateur/trice est particulière dans la conduite d’un groupe, creuser ce qui nous attire pour occuper cette place paraît nécessaire.

Charisme et séduction

Animer, mot emprunter au latin animare (de anima « âme »), donner la vie, donner le mouvement. C’est la fonction de l’animateur/trice que de donner une âme au groupe de l’atelier d’écriture. Chacun, en fonction de ses objectifs, en fonction de sa personnalité, va privilégier certaines pratiques : le partage autour de textes lus, la création de liens entre participants, l’installation d’un climat propice au travail, la convivialité, la valorisation de chacune des individualités qui composent le groupe… Impossible pour moi d’affirmer que l’une soit plus importante que l’autre - même si à titre personnel je me retrouve davantage dans certaines que dans d’autres. En revanche, il me semble important de prendre soin de n’en écarter aucune. Animer // aimer // une seule lettre supprimée pour une différence de taille. L’animateur/trice n’est pas là pour être aimé (ni pour être détesté d’ailleurs). Pourtant, la frontière est fragile et la quête d’être aimé par son groupe guide parfois l’animateur/trice, cet être doté d’un certain charisme et souvent maître des usages de la séduction. Cette quête d’amour peut prendre la forme d’une demande de reconnaissance. Reconnaissez comme je suis un(e) bon(ne) animateur/trice, comme je suis quelqu’un de bien, reconnaissez que j’existe. L’animateur/trice ne peut pas être disponible et attentif aux participants de l’atelier s’il est, lui-même, dans l’attente d’être reconnu, d’être valorisé à leurs yeux.

Apporter un savoir

C’est la tentation de la posture de l’enseignant. Il n’existe pas une unique voie à suivre pour trouver la posture juste de l’animateur/trice, tout dépend de l’esprit dans lequel on intervient pour faire écrire. Rien n’interdit de bâtir des cours et de dispenser un enseignement de l’écriture. Ce n’est pas mon choix. Je pars du postulat que la démarche de l’atelier est une démarche de recherche et d’expérimentation, que l’atelier d’écriture est un lieu qui questionne la création artistique. Entre-t-on dans une pratique de création par l’acquisition de savoirs ? Peut-être mais je crois plutôt qu’on y entre par le faire, les mains dans la matière. L’animateur/trice de l’atelier d’écriture est moins là pour transmettre des connaissances que pour faciliter des expérimentations et inventer des situations de recherche.

Proposer pour faire écrire

La proposition d’écriture, qu’elle prenne appui sur des contraintes ou qu’elle tourne autour de jeux motivants vise le même objectif : faire écrire. Chacun se heurte à ce « faire écrire »-là, que cherche-t-on à faire écrire ? Pour moi, il s’agit de faire écrire pour entrer dans un processus créatif, écrire en explorant des formes, en expérimentant les rythmes et les sonorités de la langue, en ouvrant pour permettre le surgissement d’univers personnels. Toujours, lorsque je fabrique mes propositions d’écriture je triture je modèle j’assemble autour de ces objectifs-là. Parfois je ne parviens pas à atteindre ce que je vise. Certaines propositions restent à la lisière, à cause d’une contrainte manquante, d’une formulation qui manque de précision, d’un texte mal choisi… Si créer c’est chercher, chercher ne permet pas toujours de trouver.

Proposer pour répondre aux attentes des participants

L’animateur/trice cherche à adapter ses propositions aux attentes des participants. Mais que savons-nous des réelles attentes des participants ? Certains ne sont pas capables de les formuler, d’autres expriment des attentes impossibles à satisfaire, d’autres encore dissimulent (plus ou moins consciemment) leurs véritables attentes derrière celles qu’ils vont spontanément présenter. Sans compter l’interprétation subjective de l’animateur/trice : ce qu’il choisit de retenir des souhaits formulés par les participants. L’animateur est-là pour combler les attentes des participants ? Comme souvent, la réponse ne peut pas être tranchée par un simple « oui » ou « non ». Simplement, l’animateur/trice ne parviendra jamais à combler les attentes de tous les participants d’un même atelier d’écriture. Voilà pourquoi j’ai choisi de m’écarter de ces attentes et d’élaborer mon propre dispositif de propositions. C’est ce même entremêlement de pistes d’écriture qui génère de nouvelles aspirations chez les participants, une curiosité, un désir de creuser davantage la matière de l’écriture. Chacun peut poursuivre ensuite sa quête personnelle, dans ou hors de l’atelier, dans et hors de l’atelier.

Proposer pour déplacer les écritures sclérosées

Certain(e)s animateurs/trices disent construire leurs propositions pour déplacer, faire bouger l’écriture de quelques participants qui paraît figée, raconte toujours la même chose, utilise toujours les mêmes formules. Pourquoi a-t-on le désir de faire bouger l’écriture d’une personne ? N’y a-t-il pas dans ce désir d’agir sur l’écriture d’une personne, un désir d’emprise ? Je crois qu’il convient de distinguer deux démarches. D’une part, élaborer une proposition qui vise directement à transformer, à améliorer, à révéler l’écriture des participants d’un atelier. Ceux dont l’écriture apparaît comme figée, se sont construits depuis longtemps une carapace pour ne pas perdre la maîtrise de leur écriture, face à ces propositions « offensives », elles développent des stratégies incroyables pour résister, pour détourner la contrainte imposée et poursuivre dans leur veine habituelle. Si dociles, elles se laissent emporter dans la proposition, elles finissent pas rejeter leur texte dans lequel elles ne se reconnaissent pas. D’autre part, fabriquer des propositions qui vont surprendre, décaler, contraindre à faire un pas de côté, fabriquer des dispositifs avec l’envie d’ouvrir des espaces peut-être insoupçonnés pour soi comme pour les participants. Inviter et patienter. Peut-être viendra le moment où les strates lentement accumulées ou bien l’urgence d’une nécessité conduiront à des mouvements, des déplacements. Peut-être une écriture plus singulière se fera entendre. Peut-être pas.

texte ic-tisseursdemots- droit réservé

N’hésitez pas à réagir à cet article pour alimenter la réflexion en ajoutant un commentaire sur le forum.

Vos témoignages

  • michelle.foliot 23 novembre 2012 11:11

    Un, ce n’est pas ma vocation. Deux, c’est quoi cette collégialité ? Utopie.

  • veronik leray 21 novembre 2012 13:48

    Animer, donner la vie, donner le mouvement…

    …Apporter l’espace où l’écrivant va déployer son écriture. Un espace fait de petits passages obligés, de petites barrières pour ne pas se perdre tout à fait.

    La reconnaissance, la séduction

    Oui, mais pas que de l’animateur, aussi des participants. (Dans mon cas, peut-être plus, d’ailleurs.) Je trouve au contraire que la place d’animateur, après avoir donner le mouvement est appelée à l’effacement, au laisser place. Il y a les retours, c’est là, je trouve que rentre en jeu la séduction, mais si on arrive, y mettre seulement de l’amour ( animer/aimer ) et de la bienveillance.

    Proposer pour répondre aux attentes des participants

    Je rencontre ce problème en ce moment sur le web. Je me suis fait la même réflexion. Il faut aussi garder le plaisir d’animer. Et mon plaisir, je le prends en premier lors de la fabrication de la proposition. Si je commence à essayer de « faire plaisir », le mien s’en trouve amoindri. Le plaisir d’imbriquer, ce que je vis, ce que je lis, ce que j’écoute…mes interrogations du moment….

    Comme toi, je pense qu’on ne peut savoir les véritables attentes, on risque de se perdre soi-même en essayant de trouver les autres.

    Et parfois, le chemin du participant est d’arrêter l’atelier, d’aller voir ailleurs.

    pourquoi désire-t-on faire écrire les autres ?

    Parce que je trouve tellement de plaisir dans l’écriture. Parce que j’ai vu de mes yeux, de mes oreilles la force d’un atelier d’écriture. Que certaines personnes qui n’avaient jamais écrit de leur vie, lève le verrou et donne à partager leur monde et ses richesses. Ce partage de vies, de rêves, de peurs, d’humour, d’interrogation sur le monde. De fantasmagorie de l’être !

Revenir en haut