Roberto Juarroz : Poésie Verticale

Jeudi 28 juin 2012

115 Une vitre opaque dérange parfois la matière du monde élague le rêve du regard et nous fait toucher ce que nous ne voyons pas

La réalité se concentre alors sur un insecte apparemment exclu, sur sa mort sans style, sur le calice inerte de sa minime histoire.

La réalité s’égoutte, patiente distillation qui mouille la vitre opaque et aussi nos doigts.

La réalité est une histoire minime et voilée.


140 Commencer par écouter de nouveau la conque oubliée, jusqu’à écouter l’oubli.

Puis se convertir soi-même en une conque et finir par s’écouter.

Jusqu’à écouter le futur oubli.


226 D’une carrière qui n’existe pas j’ai extrait des pierres qui existent et j’en ai fait un petit mur pour mettre dessus rien qu’une parole, une parole que je connais mais ne peux prononcer.

Mon travail est à présent de creuser son trou exact dans ces pierres extraites d’une carrière qui n’existe pas, pour que puisse la prononcer le vent qui passe.

Roberto Juarroz : Poésie Verticale, Points, 2006, pages 84, 97, 144.

Vos témoignages

  • michelle foliot 10 octobre 2012 21:57

    (suite) Comme le poète Nicolas Pasquès, il inscrit le poême dans le paysage.« la langue pourrait être le jaune , non pas le jaune pur, pas le vrai, le pur » autrement dit non pas la couleur immédiate mais la couleur mentale (d’une précédente analyse d’Antoine Eymaz) Pour rappeler le 1er passage, l’image de la vitre symbolise la transparence ; il exprime son désir d’atteindre le vrai, le pur, cet autre chose que le présent. Dans le 2e passage, l’image de la conque pourrait représenter sa voix intérieure, comme en echo, celle qui lui donnerait à entendre ce qu’il a de plus beau à dire de ce monde, de le transmettre. Comme tout poète, il craint un jour de ne plus entendre sa poésie, mais le silence, jusqu’à être oublié. Dans le 3e passage, cette parole est représentée en image par la terre , matière solide, immuable, éternelle. Il voudrait une poésie durable elle aussi, ancrée définitivement, comme témoignage universel du temps. Il envisage le moment où l’homme ne « colportera » plus sa parole ; il s’en remet au vent pour assurer la pérennité de sa poésie et faire que le poète reste toujours debout.

  • michelle foliot 8 octobre 2012 20:48

    Trilogie : l’œil , le regard - l’oreille, l’écoute - la bouche, la parole Le regard : Que reste t-il de notre existence, de notre vécu ? entre le palpable et l’immatériel, entre ce que l’on voit comme incontestable, certain, concret, limpide et ce que l’on ne peut affirmer, notre vie, notre « histoire ». Sa réalité étant la part restante après le rêve, la durée, l’incertitude.

Revenir en haut