Thierry Metz : L’homme qui penche

Vendredi 14 février 2014

L’homme qui penche est le fruit de deux séjours en hôpital psychiatrique. Thierry Metz aura mené son écriture jusqu’au bout des 90 textes qui disent le mal-être, la vie abîmée, qui dressent les portraits émouvants de celles ou ceux qui, comme lui, ont été blessés à tout jamais. L’émotion est palpable dans chaque fragment.

8. Je note chaque heure ou chaque jour des choses qui n’ont sûrement aucune importance. Hors du pavillon.

Aujourd’hui, Aurélie a dessiné un chat et un arbre. Aujourd’hui, j’ai longuement parlé avec une jeune infirmière, une stagiaire qui s’intéresse à mon cas. A midi, au self, Raymonde a rapporté son plateau. Aujourd’hui, Denis n’allait pas bien, tellement énervé qu’on ne comprenait pas ce qu’il disait.

Voilà, aujourd’hui c’est le 24 octobre. Dans le parc, les jardiniers ont commencé à ratisser les feuilles.


18. Depuis ce matin je tourne autour d’un petit poème dont rien n’est le centre. Les mots m’en éloignent. Avant d’y entrer il faudrait pouvoir en sortir. Les feuillets s’accumulent allant davantage vers le noir. Rien ne s’échappe de cette lumière, comme Perceval de la forêt. Chaque mot écrit échappe à ce qu’il dit. On y retourne, plus aveugle encore.


24. Un homme marche dans les feuilles, non loin du pavillon. Il se déplace si lentement, avec tant de précautions qu’il ne s’aperçoit pas qu’un arbre le suit.


37. Je pourrais rester ici longtemps. Dans le pyjama réglementaire. Manger chaque jour le petit pain de ce que pétrit le temps. Bon ou mauvais.


41. Nous sommes en attente de ce qu’on croyait voir venir. Mais non, il arrive autre chose et il faut tout refaire. De soi à soi. Jusqu’au moment où, là, il y aura quelqu’un.


51. L’homme qui penche se penche pour écrire, pour retenir, peut-être, ce qui était plus penché que lui. Il y a les bruits que fait quelqu’un dans mon oreille. Et quelque chose qu’on a laissé tomber.

Thierry Metz : l’homme qui penche, Opales, 1997.

Vos témoignages

  • michelle foliot 19 mars 2014 14:01

    Il faut déambuler dans un lieu psychiatrique particulièrement dans les espaces extérieurs pour se rendre compte à quel point la solitude y est présente ; que voit-on, un malade souvent seul, un ou une infirmière vaquant à ses occupations, quelques visiteurs occasionnels, autrement dit le silence, la solitude, peu communiquent entre eux. La notion d’environnement est au centre des préoccupations des architectes en psychiatrie. Pour certains,« Tout sujet ou groupe pour s’approprier l’espace, doit pouvoir ancrer son expérience de et dans l’environnement en y trouvant quelque chose qui le sécurise : mais cet espace trouvé doit lui laisser une place pour y lover quelque chose de son imaginaire, pour y créer une part de lui-même et par ce mouvement le faire sien ». « Créer, un environnement permissif dont le contrôle lui assure une fonction thérapeutique » « Redonner du lien social au patient, faire qu’il se réapproprie le territoire (salons, salles de jeux, ateliers) ». L’homme qui penche chez Thierry Metz est celui qui ne peut plus faire face aux ravages de l’existence ; il est là par nécessité ; il attend que quelqu’un lui vienne en aide. Cette aide, c’est à lui de la saisir avant de la trouver à travers quelqu’un qui pourra le comprendre, chose pas facile dans la mesure où il y a perte de confiance en soi et aux autres. Une grande part de soi-même est indispensable à la reconstruction. L’écriture peut être un de ces moyens, car elle permet l’hésitation, le recommencement, l’acharnement à refaire, jusqu’à ce que l’on trouve ce qui vous fera émerger vers la lumière.

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