Valérie Rouzeau : Vrouz

Vendredi 13 avril 2012

Ni vrac ni vroum, voilà le vrouz qui arrive, déboule et roule comme un dé sur la table, avec sa couverture bleue sage pas ciel plutôt bleu gris froid, peut-être un peu terne mais quelle vie ne l’est pas ? Vrouz donc, et une note finale nous informe qu’il s’agit d’un bon mot forgé par Jacques Bonnaffé, titre préféré à celui initialement prévu, « autoportraits sonnés avec ou sans moi ». Antoine Emaz sur Poezibao

Pendant que je sonne repose mon epson Qui imprime en rouge et noir mes feuillets Et aussi en bleu que j’y voie clair mieux En ce flux verbal où me place sujet Sujet très sujette - c’est une elle qui parle Au mal de l’époque qui fut dite épique Non je ne veux nulle prothèse communicante Collée à mon oreille hyper sensible et ni Pour ma santé cinq fruits légumes par jour Parler wall-street-english mourir et rebondir Oublier ma grand-mère qui craignait le tonnerre Et la télévision mais demeurer moderne À ma manière moderne sans fil et non Actuelle plutôt crever.

(Dépose-moi n’importe où Tant que je peux bigler Une flaque d’eau mazoutée Les patients inconnus La rue la vie qu’y va Autant que faire ce peu Au bout au bout au bout Oui me poserai là La derrière sur une borne Ou même un banc mouillé Ça me fera une chose Que je ne sais nommer Dans la forme sonnée Que maintenant j’explore Et arpente à tout pied.)

Les fumeurs meurent je ne vois pas la suite Sur le paquet de cigarettes légères Quelle nouvelle ça alors les fumeurs meurent Comme tout le monde toi moi le buraliste Qui vivra vieux sans pratiquer du tout Pour sa santé une saine activité Physique chaque jour manger bouger voilà Aux heures de pointe j’assure jusque dans le métro Publicité pour des chewing-gums sans sucre Une fille sourit aux heures de pointe sourit Dessus l’affiche collée un peu partout Ainsi les chewing-gums gomment votre mauvaise haleine Les chômeurs pleurent et les hommes d’affaires ferrent Le train et ses wagons le requin capital.

Valérie Rouzeau : Vrouz, La table ronde, 2012

Vos témoignages

  • Rolande Reveyrand 14 avril 2012 13:52

    J’ai eu envie d’en savoir plus……. :

    UN MYSTERE : être atteint plein cœur par un poème

    Apothicaria de Valérie ROUZEAU

    Roger Lahu

    Ce mystère : pourquoi et comment un poème vous atteint-il ? Plein cœur ! vous ébranle, vous bouleverse, vient perturber soudainement l’intranquille tranquilité de vos jours ordinaires ?

    Peut être, qui sait ? , est une « simple question » d’humeur, de moment ? d’adéquation parfaite à un moment donné, précis, entre ce qui se dit dans le poème et « là vous en êtes » pile à cet instant là. « Là », c’est-à-dire cet embrouillaminis confus de sensations, de perceptions, de manques, de désirs, de soifs, de fatigues etc.

    Peut-être, par exemple, cela compte-t-il beaucoup, le fait que vous lisiez le poème un matin de novembre, froid et lumineux, après avoir charrié en deux voyages, jusqu’à la déchetterie du village voisin (la lumière était merveilleuse sur les vignes des coteaux alentours) des tas de feuilles et de branchages déjà pourrissants. Peut être cela compte-t-il aussi que dans quelques jours ce sera votre anniversaire et que, sans que ça vous ennuie vraiment, ça vous trouble quand même assez ces ans qui s’entassent et pourrissent .

    Alors vous ouvrez le livre (vous l’avez trouvé dans votre boite à lettres). Vous notez d’entrée qu’il est dédié à Alvaro de Campos, un de vos poètes de chevet depuis des lustres. Vous lisez « j’ai mis mon cœur aux encombrants dessous un bouquet d’anémones » et vous avez en tête l’odeur pénétrante des déchets végétaux que vous venez de transporter dans votre vieille bagnole, odeur à la fois mortuaire et délicieuses (surtout qu’il y avait des lavandes). … « Mais je n’ai pas jeté ma vie ».

    Un ton, d’emblée est donné, une petite musique joue son air. Saudade un peu ironique , blues un peu moqueur . Et puis, d’un coup (vous êtes toujours à la première page, aux premiers vers), un mot vous saute à la figure : « métaphysique » : mot rare dans un poème (et le plus souvent mal venu, comme tous les « grands mots » quand ils se trouvent dans un poème). Ce mot là ravive le souvenir : mais oui ! bien sur ! « Apothicaria » (le titre vous a un peu intrigué) / « Tabacaria » le célébrissime « Bureau de tabac » d’Alvaro/Fernando Pessoa. Et les vers vous reviennent facilement (vous n’en savez « par cœur » que très peu, mais ceux là oui) :

    « Mange des chocolats fillette Mange donc des chocolats Écoute il n’y a pas de métaphysique au monde à part le chocolat »

    Et un peu plus loin (là vous avez repris le livre parce que vous avez oublié un peu la suite, c’est normal, « c’est l’âge ») : « Je fais tout tomber par terre, comme j’y ai fait tomber ma vie »

    Le « mais je n’ai pas jeté ma vie » de Valérie Rouzeau prend tout son sens, ou un autre. Dans « Tabacaria » Pessoa regardait par sa fenêtre, la rue dehors et la devanture d’un bureau de tabac et les clients qui entraient sortaient et il laissait divaguer ses pensées – moroses – en fumant des cigarettes. Valérie Rouzeau, elle, est dehors, dans la rue, « passante », elle s’arrête devant une vitrine d’une pharmacie (peut être est ce sa destination, cette pharmacie) . Il y a une femme nue dans la vitrine, et une femme qui entre « avec deux fesses » et une qui sort « avec deux seins » et, mutine triste, Valérie Rouzeau note, un peu triste, « je ne sais plus ni l’endroit ni l’envers des choses ». Et, là, sur le boulevard, devant la pharmacie, il y a des feuilles qui tombent des arbres : « tombent joliment ce qui n’est pas donné à tout le monde « (toujours cette pointe de folâtrerie narquoise). Mais en fait ce ne sont pas des feuilles qui tombent, mais des « samares » (qui reviendront en leitmotiv voltigeant tout le long du poème). Elles te laissent perplexe ces « samares » (et ton esprit divague d’un coup vers Samarra et sa mosquée d’or, c’est loin). Tu vas vérifier dans le Grand Robert (en souriant un peu parce que ce vers : « chez Robert j’ai trouvé des samares mais pas de monstres ni d’encombrants », tu te demandes si il ne « parle » pas de ce Robert là ? le petit ? le grand ? ou est-ce un vrai « ami » comme le redit Valérie plusieurs fois,) :

    ÉTYM. 1798 ; du lat. samara ou samera « graine d’orme ». Bot. Fruit* sec indéhiscent akène, à péricarpe prolongé en aile membraneuse favorisant la dissémination. | Samares du frêne, de l’orme.

    Ah l’avalanche ! un peu comme ce voletis de papillon qui déclenche une tornade à l’autre bout du monde ! mais oui mais oui ! Ces petits feuilles-graines de l’enfance, qu’on jetait en l’air et qui retombaient en virevoltant, on les appelait des « hélicoptères » ! Ah c’est loin, c’est dans l’enfance, et quand plus loin dans le poème tu vas lire « enfance anachronique/les beaux jours lessivés » ou « c’est ma petite enfance je n’y reviendrai pas », tu réagiras d’autant plus fortement que tu y auras effectué un aller-retour express en « hélicoptères-indéhiscent-akène » !) .

    Et tu auras noté aussi « en passant » (avec un plaisir malicieux) que l’étymologie latine de ces samares t’emportait aussi sur des ailes au dessus de la Mosquée d’or. Mais Samarra c’est loin, il faut un avion pour s’y rendre, un hélicoptère n’y suffit pas (envie alors d’écrire après Segalen : « Samarra Samarra je n’irai jamais à Samarra »).

    Et, l’avion, oh ! , il est soudain là, dans le poème et dedans il y a un amant qui est parti, qui a oublié (« il m’aime pas du tout »). L’enfance enfouie/enfuie (à tire d’ailes vers la grande déchetterie du temps ?), l’amant envolé, tu comprends, tu « comprends bien », que devant la pharmacie, Valérie sourit gris, fait front mais peine à : « on ne va pas finir sur une boite de xanax ». Alors, forcément, elle rêve, elle aussi, d’envols : « doubles samares ailés / j’en ai dans les cheveux j’en ai dans les pensées ». Et aussi :

    « Oie rêve à l’azur Oie rêve à l’azur Oie rêve à l’azur Je voudrais plutôt un emportement du temps »

    Et tu te souviens de la seconde dédicace du livre : « « avec toute ma gratitude à l’ami Olivier Bourdelier qui m’anagramma mon nom oie rêve à l’azur » Et tu te demandes en même temps (certaines dérives mentales sont impossibles à contrôler – nulle « tour de contrôle » ni aiguilleur du ciel dans ces cas là) si les oies sauvages dans leurs périples survolent parfois la Mosquée d’Or de Samarra .

    Mais on s’empêtre toujours dans nos désirs d’envols et d’azur (remember l’albatros de Charly B) . Pessoa dans Bureau de Tabac l’écrit bien : « la chanson de l’Infini » ne résonne que « dans un poulailler » ou « au fond d’un puits obstrué » . Rien d’étonnant alors à ce que les vols d’oies sauvagement rêveuses , ne ramènent Valérie Rouzeau à « des troupeaux d’oiseaux entiers » qui se reflétaient dans les « lessiveuses de mémé » . « L’enfance blême » (comme une morte ?) reprend ses droits d’ainesse (et plombe assez les envols). Mais la poète n’a pas dit son dernier mot ou plutôt résiste, en jouant, avec les mots : la lessiveuse « de mémé » entraine à sa suite la blanchisseuse de Pessoa. Celui-ci se demandait :

    « Si j’épousais la fille de ma blanchisseuse/peut-être serai-je heureux ? » (Ah les sempiternels faux envols conditionnels !!!) Valérie Rouzeau goguenarde qu’elle aussi, peut être, serait heureuse si elle épousait « le fils de » la blanchisseuse avant de constater , mordante :

    « je n’ai pas de blanchisseuse C’est assez fade le vermicelle »

    (et là tu penses – oies libres et sauvages et fades vermicelles petit-bourgeois s’entremêlant – à la chanson de Brassens)

    D’envols, donc, point ! Et les ailleurs sont …. Loin ! bien loin de « Saint Ouen Seine Saint Denis Avenue Gabriel Peri ». Bien que !!!

    A qui sait regarder attentivement est donné de voir « des éléphants d’Afrique » ou des « holothuries » dans « les crasses des pots d’échappement ». Ou bien encore « un camion (qui) passe un tronc de baobab avec les racines dans sa benne ».

    N’empêche qu’il faut rentrer , il se met à pleuvoir (« entre les encombrants je zigzague sous la pluie » ) (ce « zigzag » là me plait , je ne sais pourquoi , il me rassure , il y a quelque chose de preste , d’énergique , de virevoltant ) . Et voila la fin du poème :

    « Il y a mon nom sur une boite aux lettres c’est ici ».

    Ce n’est pas vraiment un happy end. Ton cœur de lecteur se serre un peu. Mais vite tu « zigzagues » aussi à ton tour : « un poème ça n’est pas un film amerlo grand public eh benêt » te tances tu ! Et, oui, tu sens que c’est ça, « le nom » « la boites aux lettres » « ici » : c’est le livre, c’est le poème ! Au terme de son errance bluesy sous la pluie et parmi les encombrants (de la vie et du cœur) (mais with the little help des samares et des oies sauvages) Valérie Rouzeau est rentrée chez elle : « ici », dans le poème achevé (ou plutôt qu’il allait falloir écrire). Envie de laisser Pessoa ajouter (derniers vers de Tabacaria) : « … et l’Univers s’est reconstruit pour moi, sans idéal ni espérance et le patron du Tabac a souri ». Alors ? Ai-je été clair ? Ai-je su expliquer pourquoi et comment un poème peut vous atteindre plein cœur ? Comment vous pouvez vous sentir si proche d’un poème qu’à chaque fois ses mots faisaient mouche ? Non, bien évidemment ! Mais est-ce possible ? Essayez donc pour voir ! Chiche ? En attendant , lisez absolument « Apothicaria » de Valérie Rouzeau (et relisez « Bureau de Tabac » d’Alvaro de Campos)

    Ce texte est paru dans le N° 77 de la revue LIQUEUR 44

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