La carte est rudimentaire et imprécise. Les cartes grecques sont cependant meilleures que les cartes turques, qui s’avéreront inutilisables ; c’est toujours le cas dans un pays où ce sont les militaires qui décident où vous avez le droit d’aller et ce que vous avez le droit de voir. À en juger par les cartes, la Grèce est un pays plus transparent et plus libre que la Turquie, mais moins accueillant et ouvert que certains pays où nous avons l’habitude de nous déplacer à peu près à notre guise en nous fiant à des cartes qui disent la vérité au lieu de raconter de belles fictions. Mais les meilleures cartes, on ne peut les acheter ; elles sont dessinées par les gens que l’on croise sur la route. Et les gens que l’on croise sur la route sont à la fois bienveillants et précis. C’est vrai dans tous les pays. Les meilleures cartes sont transmises oralement et avec des gestes, parfois à l’aide d’un stylo et un bout de papier. Il arrive que la personne qui vous indique le chemin propose de vous accompagner pour vous montrer exactement l’endroit où la route se divise bizarrement, où elle bifurque de manière inexplicable ; ainsi on se familiarise avec le paysage et la route selon une méthode directe et concrète ; un raccourci, un sentier secret, nous connaissons des chemins que personne d’autre ne connaît.
Tomas Espedal : Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique), Actes Sud (Babel), 2015, page 183.