Umberto Eco : « Comment reconnaître la religion d’un logiciel ? » dans Comment voyager avec un saumon.

Mercredi 15 février 2012

Ce livre est de la même veine que Pastiches et Postiches, ce sont des textes d’humour, des pastiches qu’il a publiés dans différents journaux et régulièrement dans L’Espresso, de 1986 à nos jours. On apprend comment ne pas passer des vacances idiotes ; comment reconnaître un film porno ; comment se protéger des veuves… et beaucoup d’autres choses pour les lecteurs curieux, qui apprendront aussi un peu d’histoire, d’économie, de politique, de littérature et de philosophie !… Hilarant, provocant, intelligent, cet ouvrage répond aux questions que nous n’aurions pas songé à nous poser… Et répond à des questions dont nous pensions connaître la réponse : Comment voyager avec un saumon, par exemple….

Une nouvelle guerre de religion modifie subrepticement notre monde contemporain. J’en suis convaincu depuis longtemps, et lorsque j’évoque cette idée, je m’aperçois qu’elle recueille aussitôt un consensus.

Ceci n’a pu vous échapper, le monde est aujourd’hui divisé en deux : d’un côté les partisans du Macintosh de l’autre ceux du PC sous MS-Dos. Eh bien, je suis intimement persuadé que le Mac est catholique et le Dos protestant. Je dirais même plus. Le Mac est catholique contre-réformateur, empreint de la « ratio studiorum » des Jésuites. Il est convivial, amical, conciliant, il explique pas à pas au fidèle la marche à suivre pour atteindre, sinon le royaume des cieux, du moins l’instant final de l’impression du document. Il est catéchistique, l’essence de la révélation est résolu en formules compréhensibles, et en icônes somptueuses. Tout le monde à droit au salut.

Le Dos est protestant, voire carrément calviniste. Il prévoit une libre interprétation des Écritures, requiert des décisions tourmentées, impose une herméneutique subtile, garantit que le salut n’est pas à la portée de tous. Faire marcher le système nécessite un ensemble d’actes personnels interprétatifs du logiciel : seul, loin de la communauté baroque des joyeux drilles, l’utilisateur est enfermé dans son obsession intérieure.

On m’objectera que l’arrivée de Windows a rapproché l’univers du Dos de la tolérance contre-réformatrice du Mac. Rien de plus exact. Windows constitue un schisme de type anglican, de somptueuses cérémonies au sein des cathédrales, mais toujours la possibilité de revenir au Dos afin de modifier un tas de choses en se fondant sur d’étranges décisions : tout compte fait, les femmes et les gay pourront accéder au sacerdoce.

Naturellement, catholicisme et protestantisme des deux systèmes n’ont rien à voir avec les positions culturelles et religieuses des usagers. J’ai découvert l’autre jour que Franco Fortini, poète sévère et tourmenté, ennemi déclaré de la société du spectacle, est un adepte du Mac. Cela dit, il est légitime de se demander si à la longue, au fil du temps, l’emploi d’un système plutôt que d’un autre ne cause pas de profondes modifications intérieures. Peut-on vraiment être à la fois adepte du Dos et catholique traditionaliste ? Par ailleurs, Céline aurait-il écrit avec Word, WordPerfect, ou WordStar ? Enfin, Descartes aurait-il programmé en Pascal ?

Et le langage machine, qui décide de notre destin en sous-main, et pour n’importe quel environnement ? Eh, bien, cela relève de l’Ancien Testament, du Talmud et la Cabale. Ah, encore et toujours le lobby juif !

Edition Grasset

Vos témoignages

  • veronik 19 février 2012 08:40

    Je suppose que linux, se sont les athées, les anarchistes, les libertaires ? Pas faux. Donc, je suis catholique et anarchiste en même temps, ça me plaît bien ! :-))

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