Paola Pigani : Indovina

Mercredi 3 mars 2021

Paola Pigani pose son regard sur le monde, parlant tour à tour de sujets personnels, d’art, des passants du quotidien… Une traversée du monde réel, social, s’impose à elle à chaque nouvelle page écrite. Un prisme poétique de la réalité, une écriture du quotidien, transcendé. (Note de l’éditeur)

Meilleur espoir masculin

Les portes du tram ont un souffle poussif
À l’ouverture
À la fermeture
À chaque arrêt
Même voyage en trois temps
Un homme grand brun
Veste rouge
Frappée des lettres
ADECCO BTP dans le dos
Son pantalon de peintre est maculé de taches
Son regard n’accroche rien
Il descend à l’arrêt des Essarts
D’un pas majestueux
Il regagne sa vie
Meilleur espoir masculin


Entre mes mains

Serrés dans un fou rire
Ils sont deux
Aux dernières loges du bus
Je ne dirai rien de leurs visages
Rien de leurs vêtements
Tout pourrait tomber à l’instant de leur rire
Sur le plancher du bus
Leurs peaux leurs cheveux
Ne resterait que le geste du garçon
Une plume d’oiseau entre les doigts
Et ces mots vers moi
Vous la voulez ?
Tenir jusqu’au terminus
La flamme de ces deux-là
Entre mes mains


Le roi

Quatre CRS l’embarquent
ivre
Dans un fauteuil roulant
il est enroulé dans un drap bleu ciel
ses jambes apparaissent sous le bleu
couleur de lèpre
le cortège traverse la gare de Perrache
déserte
à cette heure du soir
on n’entend que le grincement des roues
et les bottes des hommes
le mendiant sur son trône
Rit d’être seul en son royaume


Des gâteaux

De la pâte d’amande aux couleurs criardes
Les gâteaux sont roses, jaunes, verts
Une femme les dévore un par un
Debout contre une poubelle
Cours du Docteur-Long
Ce 25 janvier 2012 à 8h30


Blue jean

J’ai mangé nos restes
saisi une par une chaque miette
de pain sur la table
Respiré l’odeur de nous
Dans cette chambre étrangère
replié le ciel d’hier
Écrit ces mots sur un post-it
Glissé dans la poche de mon jean
Levis San Francisco 28-30
Tout est passé dans la machine à laver
Sur les fragments de papier humide
Retrouvé seulement
Ces mots
Pain Nous Ciel Hier


Remiser l’hiver

Il a entassé les sacs de gros sel
Dans la remise
A glissé sur le sol
A juré
Rien n’avait servi à rien
L’hiver n’avait pas eu lieu
Il avait vu pourtant se vider les rues et son cœur
Mauvaise isolation, matériaux dépassés, usés
La solitude des autres était entrée dans la sienne
Ça en faisait du monde
Et du bruit pour rien

Paola Pigani : Indovina, La Passe du vent, 2014.


D’autres extraits des recueils de Paola Pigani sont à découvrir sur le site des Tisseurs de Mots :

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