Ces pommes sont restées exposées aux vents, aux gelées et aux pluies et ont ainsi fini par incorporer les qualités du temps ou de la saison. Elles sont donc assaisonnées, et leur âme nous pénètre, elle nous inocule, elle nous imprègne. Pour ces raisons, elles doivent être goûtées hors les murs. Pour bien apprécier l’essence sauvage et âcre de ces fruits d’octobre, il est nécessaire de respirer l’air aiguisé d’octobre ou de novembre. L’air et l’exercice dont profite le marcheur donnent un caractère différent à son palais et il désire un fruit que le sédentaire qualifierait d’agressif et de dénaturé. Ils doivent être mangés dans les champs, quand le corps est éveillé par l’exercice, quand le temps glacial vous mordille les doigts, quand le vent fait s’entrechoquer les branches nues ou bruisser les rares feuilles qui restent et quand alentour on entend le cri du geai. Ce qui est aigre à la maison, une marche tonifiante le rend sucré. Certaines de ces pommes devraient être ainsi étiquetées : "A manger au vent".
Henry David Thoreau : Les pommes sauvages, Finitude, 2009, pages 46-47.