quand Joséphine est apparue
sur terre personne
ne s’en est aperçu
son pays était de chemins creux
et de campagnes il y avait beaucoup de campagnes
et les villes étaient comme un autre pays
il n’y avait pas de robinets de radiateurs de frigos de radios (portables les seaux pour quérir l’eau aux puits)
il y avait la guerre une maison en terre des bonnes soeurs des rabines et du blé noir
il y avait Joséphine qui a continué à vivre sans qu’on s’en aperçoive
Joséphine que j’ai aimée mais pas assez
à l’étage du vaisseau près de la gare Joséphine a sa chambre de bonne
à côté Robert a la sienne de garçon de café
le soir c’est facile c’est la vie même le vif des eaux bondissantes de se rendre visite
Robert aussi
trop maigre ils avaient dit avant la déclaration de guerre
c’est bon ils disent aujourd’hui
à leur tour traversent l’esplanade pleurent dans l’air déchiré de la gare Joséphine et Robert
les jeunes mariés - vous savez le garçon de La Jeune France le maigre et la p’tite bonne
C’est Noël
on fait la queue chez le boucher rose et blanc comme les rôtis qu’on ne peut pas acheter
viens ! dit Robert tout à coup en tirant Joséphine par la manche
quittent la queue file Robert court Joséphine derrière qui demande qu’y a-t-il ?
à la maison ouvre son manteau Robert et pose sur la table le gros morceau de veau rose et blanc attrapé sur l’étal
bouche ouverte Joséphine lève les yeux du veau rose vers le mince visage de Robert qui rit
ça alors ! dit Joséphine cœur battant pour celui qui a su voler ce qui jamais ne lui avait été donné
Christiane Veschambre : Robert & Joséphine, Cheyne, 2008, pages 13-14, 20, 24-25, 36-37.