Jean-Claude Izzo : les marins perdus

Mardi 11 mars 2014 — Dernier ajout lundi 10 mars 2014

Ode à Marseille, à son port, et à ses habitants venus des différents pays bordant la Méditerranée, Les Marins perdus est également le témoignage de ses marins qui se retrouvent à quai, dans un pays qu’ils ne connaissent pas et qui sont prisonniers sur leur navire par la faute d’un armateur indélicat. Izzo décrit avec sensibilité les moments de doute, de tourments, de retours sur leur passé, de trois hommes obligés à vivre en communauté, mais dans une communauté qui n’est plus celle de la navigation. L’amitié qu’ils se vouaient se transforme peu à peu à cause de l’éloignement du pays natal et de leurs racines, familiales principalement. De petits instants de bonheur enchâssés dans de grands moments de solitude, de tristesse, d’espérance gâchée. Les lectures de l’oncle Paul

Peu importait que ce soit vrai ou non. L’un et l’autre savaient que les histoires de mer n’existaient que lorsqu’on les raconte. Pas qu’elles aient été inventées, non, mais en les racontant, celui qui les a vécues tente de bloquer le sentiment même de ses peurs intérieures. En les racontant, il donnait une logique aux événements. Un sens à ce qui est sa réalité quotidienne de marin. Abdul Aziz et Diamantis n’étaient pas différents des autres. Chaque histoire de la vie du bord, et en priorité les tempêtes, était à prendre avec le plus grand sérieux. Même si elle n’était pas forcément véridique. Et sans doute que le naufrage de Colm Toibin n’avait pas été aussi terrible que ça. Mais, à cet instant, ils en étaient convaincus.

L’idée de se faire plomber était loin de le réjouir, mais il avait décidé d’aller jusqu’au bout. Il fallait juste qu’il fasse ça, demander pardon. C’était puéril, peut-être. Mais après, seulement après, il pourrait envisager sa vie autrement. Sans être obligé de courir sans fin les mers du monde. Ce qu’il fuyait depuis - parce qu’il ne faisait que fuir -, c’est ce qui naissait une fois qu’il avait fini de baiser. L’amour. L’amour, et tout ce qui en découlait. L’avenir à construire. La fidélité de l’un à l’autre. La confiance. Comment pouvait-on bâtir un avenir de confiance si on ne prenait pas la peine de demander pardon, un jour, pour toutes les conneries passées ? Pardon à ceux que l’on a blessés. Pardon à ceux qu’on s’engage à aimer.

Il trouva enfin la pensée qui le taraudait, et les mots pour l’exprimer.

  • En vérité, il faut une raison personnelle pour naviguer sur la Méditerrannée. C’était ça. Il avait trouvé. Une raison personnelle. Abdul le dévisagea. Diamantis délirait complètement. Une raison personnelle. N’importe quoi. Non, il ne délirait pas. Il racontait n’importe quoi. Pour qu’on l’écoute. Il voulait captiver. Être au centre. Il monopolisait la parole depuis le début du repas. Et lui, Abdul, il était réduit à la figuration. Tout ce que disait Diamantis n’était pas faux. Mais bon, il était le capitaine, merde. Il avait aussi son mot à dire. (…)
  • Et c’est quoi votre raison personnelle ?, demanda Lalla à Diamantis.
  • Me trouver, je crois. Il songeait à l’expression de son père. « Tout est ambivalent dans l’âme de l’homme, il disait. Mais les doubles valeurs cherchent à se trouver un lieu pur où les contraires sont un. »
  • Ou, plus exactement, rassembler en moi tout ça… On se perd à ne pas savoir qui on est.

Jean-Claude Izzo : Les marins perdus, J’ai Lu 1997, pages 54-55, 211, 272.

Vos témoignages

  • michelle foliot 4 août 2014 22:29

    Les peurs sont parfois si intenses qu’elles peuvent entraîner la fuite devant le danger. Il y a les peurs, qui, si l’on veut bien les aborder, vous apprennent à mieux vous connaître. Elles vous questionnent sur vos forces, vos faiblesses, vos manques. Elles vous absorbent et vous rendent vulnérables. Elles vous libèrent quelquefois lorsque celles-ci sont passées. Elles vous font prendre conscience de vos raisons d’agir. Elles vous indiquent le changement à prendre.

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