Mia Couto : L’accordeur de silences

Mardi 13 septembre 2016 — Dernier ajout lundi 5 septembre 2016

C’est un livre étrange que cet accordeur. Étrange dans le sens d’étonnant, de ce mystérieux qui interpelle.

Devant un livre pareil, on ne peut qu’être humble… J’aurai envie de partir dans de grandes envolées pour vous faire partager le plaisir que j’ai eu à le lire, cet engourdissement du temps palpable à la lecture, ces mots qui vous envoutent et la seconde d’après, vous claquent les deux joues en vous laissant pantois, groggy, à bout de souffle, mais toujours aux prises avec l’écriture de Mia Couto. Mais je n’en ferai rien… (commentaires de lecteurs sur Babelio)

Entre conte fantastique et parabole, Mia Couto a signé un roman magnifique, flamboyant, où sa voix de conteur envoûté s’escrime à couvrir le fracas des guerres. Parce qu’« une bonne histoire est une arme plus puissante qu’un fusil ou un couteau ». (L’Express Septembre 2011)

« il est aujourd’hui l’un des auteurs les plus intéressants et les plus importants d’Afrique ». ( Henning Mankell)

« Je suis né pour me taire. le silence est mon unique vocation. C’est mon père qui m’a expliqué : j’ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J’écris bien, silences, au pluriel. Oui, car il n’est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l’état de gestation.
(…) je nouais les fils délicats dont on tisse la quiétude. J’étais un accordeur de silences.

— - Viens mon enfant, viens m’aider à rester silencieux. » p 17

« Au lieu de s’estomper dans l’autrefois, elle (Dordalma) s’immisçait dans les fêlures du silence, dans les replis de la nuit. Il n’y avait pas moyen d’ensevelir ce fantôme. Sa mort mystérieuse, sans cause ni apparence, ne l’avait pas ravie du monde des vivants. » p 33


Alors il plongea, puis une fois complètement immergé, il ouvrit les yeux pour contempler ainsi la lumière qui se réverbérait à la surface. Ce que je fis : depuis le ventre du fleuve, je contemplais les éclats du soleil. Et ce scintillement m’éblouit dans un aveuglement enveloppant et doux. Si l’étreinte d’une mère existait, elle devait s’apparenter à cette perte de sens.

  • ça t’a plu ?
  • si ça m’a plu ? C’est si beau, Ntunzi, on croirait des étoiles liquides, si joliment diurnes !
  • tu vois, petit frère ? C’est celui-là l’autre côté. […].
  • Est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui nous guette de l’autre côté ?
  • Oui, on nous guette. Ce sont ceux qui viendront nous pêcher.
  • Tu as dit "chercher" ?
  • Pêcher. Je tremblai. L’idée de poissonner, captifs des eaux, me conduisit à la terrible conclusion : les autres, ceux du côté du Soleil, étaient les vivants, les seules créatures humaines.
  • Frérot, c’est vraiment vrai que nous sommes morts ?
  • Seuls les vivants peuvent le savoir, frérot. Eux seuls. […]. Je ne cessais de revenir à la courbe du fleuve et me laissais enfoncer dans les eaux dormantes. Et je restais des temps infinis, les yeux éblouis à visiter l’autre côté du monde. Mon père ne l’a jamais su mais c’est là plus que nulle part ailleurs, que j’ai perfectionné mon art d’accorder les silences.
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