Anne-marie Garat : La Source

Samedi 19 novembre 2016 — Dernier ajout mercredi 26 octobre 2016

Les romans d’Anne-Marie Garat agissent sur le lecteur comme un envoûtement. La source nous entraine dans une fabuleuse saga historique, presque un siècle entre l’histoire singulière de Lottie, personnage hors du commun liée par le destin à la famille Ardenne autrefois influente, l’histoire du bourg, des habitants et des membres de cette famille. C’est aussi l’histoire de la narratrice venue dans ce village à priori par hasard organiser pour ses étudiants en sociologie des travaux à partir des archives de la mairie. Elle se trouve devoir loger chez Lottie, nonagénaire solitaire habituellement avare en paroles qui lui livre des confidences captivantes tout en prévenant qu’il ne faut surtout pas la croire sur parole. Secret, mensonge, trahison nous conduisent à l’ombre de la Grande Histoire aux quatre coins du monde en particulier dans le Grand Nord canadien. Anne-Marie Garat dans une langue rare, ronde, généreuse faite de grandes phrases enveloppantes nous livre une magistrale réflexion sur la narration, la transmission des histoires, les légendes qui s’installent, leur transformation par ceux qui les racontent et ceux qui les écoutent. Elle nous éblouit de couleurs, de sons, d’odeur, d’émotions. si vous êtes charmés par ce roman foisonnant, n’hésitez pas à poursuivre votre lecture par la trilogie : Dans la main du diable, L’enfant des ténèbres, Pense à demain.

  • Elle me dit aussi plus tard combien lui avait plu que je déclare aimer marcher hors des sentiers balisés, elle se méfiait de ceux qui roulent dans la bonne ornière, en ayant connu tant et plus qui n’étaient jamais par ce moyen arrivés nulle part. Parvenus, ça oui, ils l’étaient, mais comme le coq sur le fumier de sa basse-cour.(p54)
  • Tout cela m’assaillait assez pour que je ne retrouve pas le sommeil et que me revienne ce que m’avait raconté Lottie tandis que l’ensorcellement du feu libérait mon corps de sa fatigue, l’allégeait jusqu’à ce que je le quitte telle une cosse vide et la rejoigne dans l’espace et le temps de son récit car, disait-elle, on ne sait où commencent les histoires, à quelle source elles prennent leur origine, c’est pourquoi on n’a guère que le choix d’entrer dans leur cours au moment qui semble le plus propice, de s’y risquer comme on pénètre dans l’eau fuyante venue d’ailleurs et glissant à sa pente, se laissant emporter parfois, mais surtout luttant à contre-courant pour remonter les pas et les sauts qu’elle a franchis, les bassins versants où elle s’est attardée et avant cela les appartements souterrains de grottes et de retraits dont elle est issue, où elle s’est d’abord écoulée goutte à goutte avant de se déverser au plein air, tout endormie que vous êtes peut-être me suivrez vous (p67)
  • je me promettais de chercher sur un atlas de la bibliothèque où était née Anaïs, où se trouvait cette contrée de neiges où l’on marchait en raquettes, d’apprendre ce que l’on y faisait en dehors de la chasse, quels animaux y vivaient, s’il y avait là-bas une rivière comme la Flane, des massifs escarpés marbrés de brume comme j’en voyais parfois le soir surgir dans les nuages, quand je me croyais transportée dans une vallée encaissée au pied de sommets altiers, une région inconnue et pourtant la même, ou plutôt telle qu’elle était dans un écart du temps, très longtemps avant qu’aucun homme n’advienne.(p133)
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