Entre reliure et écriture, le corps incertain

Dimanche 25 mars 2018

Ça commence au Puy en Velay, rue Chaussade, entre la boutique qui parfume la rue d’encens et la librairie d’occasion de l’œil vagabond, dans l’atelier de reliure, l’Arcade de Gutenberg.
Elle est petite, un peu nerveuse, elle installe des petits carnets faits maison dans sa vitrine. On entre, ça sent le cuir, la colle, le café. C’est tout en longueur , jusque dans la cour où il y a une fresque jolie, un peu délavée par l’hiver.

Elle, c’est Odile Quersin, qui toute la matinée, nous raconte passionnément son métier de relieuse.
Relieuse, apprentie sur le tas. Trois ans de passage de savoir, six mois à rester, regarder, ne pas toucher, juste prendre des notes.
Elle coud, Elle dit qu’elle est couturière du livre. Mais pas que, elle refait les couvertures, rajeunit, rabote, coupe, scie, dore…
Chaque page, la relier aux autres. La force dans les mains. « Le papier, c’est dur », dit-elle. Le papier, les cartons, percer, enfiler l’aiguille à la place des nerfs. Etre relieur est un métier du corps.

Le papier, c’est dur

Ensuite ce sont des corps de femmes de 16 à 77 ans qui se penchent sur le papier, cousent de petits carnets. Couture hollandaise ou japonaise, elles suivent les gestes d’Odile. Elles répètent.

Elles partiront encore l’après-midi dans la ville ressentir le corps des promeneurs d’un dimanche pluvieux et froid, leur chaleur, leur énergie où leur solitude.

Carnets, poètes, textes…

Avec l’aide des poètes : Valérie Rouzeau, Albane Gellé, Guillevic, Loïc Demey, J.L Clarac, comment dire notre corps incertain dans l’incertitude de celui des autres.
C’est la proposition d’écriture.

Les textes

D’abord rien y’a pas d’corps pas d’humains dehors pas de mots à l’horizon    quelques pigeons    et un chien
un téléphone passe promène une capuche tête baissée avec un jeune emprisonné mots volés    filature abandonnée    froid    pluie    feu de bois
Troupeau de corps esseulés emmitouflés silencieux ou rigolards anonymes solitaires au pas trainant ou cavalant au bout de leur souffle    fuite    beaux ou laids, tristes ou gais
Un dimanche d’hiver au Puy en Velay
Carcasses aux allures d’humains    attente du lendemain enchanteur
Là-bas une jeunette
Ici une canne qu’un corps plié fait ployer    nuages bas    pluie pas d’orage    soleil à venir pour un plus beau devenir
Là-bas    sourire froid    même pas froid aux yeux la même jeunette sans parapluie ni point d’appui sans trompette la jeunette toute simplette rire sourire pour moi toute seule toute guillerette
Lenteur
Traîne des pieds un ado    un ado trait d’union entre deux parents il a la tête au chaud l’ado dans son monde tout là-haut    me fait tristesse    son rêve ne vibre pas laisse son corps inerte sa tête l’abandonne au monde d’en bas
Une silhouette de vieux se traîne aussi    s’entraîne    à la lenteur marmonne dans son menton ses pieds pour unique horizon
Rejet ne pas le suivre    pas à pas l’abandonner lever la tête des yeux avaler les nuages quelques gouttes de pluie sur mon visage
Beaucoup de corps assis protégés dans des tôles pas encore ondulées des cages à roues hurlantes    du mal-être qui vibre au dedans
Un parapluie tiré par une ébauche de chien jaune cache une femme    perdue    éperdue
Tournis me donne ça suffit
Accélération sous la pluie je cours je me gourre en rond je tourne
à vivre à côté leurs corps à tous me questionnent en silence mes mots répondent l’orage gronde
Tiens là rencontre d’un autre genre une écrivante déambulante penchée sur son carnet la main qui sculpte ses mots à elle moi je vadrouille cherchant l’humain à saisir sur le vif à croquer de mes mots je marche saturée d’humide et d’inconfort, en quête d’écriture Comment écrire décrire poétiser saisir au vol tout ce qui interroge se prendre au jeu des bribes entendues    au passage s’en emparer les faire miens    ces mots dits ces mots capturés qui se répondent me répondent tous ces mots qui parlent
Une femme croisée à la volée regard inondé de larmes    froid à son âme pas de parapluie ici juste la pluie noyée de ses larmes
Froid dans le dos toutes ces solitudes errantes
Un jeune encore    casquette à l’envers portable à bout de bras à l’endroit    sa tête qui se cherche    son corps allant vers où
Des ébauches d’adultes clope au bec langage d’une autre planète engins pétaradants
ça vit ça grouille ça respire et ça rigole ça court ou ça traîne
ça gueule ça s’emmure en silence ça bouge ça vit
Ici ailleurs ça le fait pareil j’emboîte leurs pas je fais avec
Je bouge je vis en ce dimanche au Puy

Mariane Kieffer


Un dimanche sous le signe du gris et de la pluie.

La femme s’ est arrêtée à l’ angle de la petite place. D’ elle je ne vois que les jambes et le dos sous son grand parapluie. L’ enfant, je ne le verrai pas.
De la poussette, seule une tâche rouge dépasse de la mère.
Elle allume une cigarette et entre dans la rue Droite.
Comme la rue, la femme sinue sur les pavés.
Je la regarde aller.
Elle s’ arrête pour fumer, repart.
La rue est étroite, vide, mouillée.
La femme est seule avec son enfant.
Je la quitte ; j’ explore un petit passage lui aussi, vide et mouillé.
Mon pied glisse sur les pierres.
Mon dos porte mes ans.

J’ ai croisé des jumeaux, des jumelles,
Seuls ou accompagnés.
Têtes baissées pour éviter la pluie,
Cous dans les épaules pour éviter le froid,
Semblant menés par le hasard dominical
D’ une promenade obligée.
Faire quelque chose, aller quelque part,
Sans savoir ni pourquoi, ni où vraiment.
Sans parole surtout.

J’ en ai croisé des presque encore enfants ;
Filles et garçons, des jambes de gazelle,
Avec musique et danse.
Ceux-là étaient vivants !

Lui surgit, décidé,
Guitare sur l’ épaule.
Antillais sûrement, il me croise.
J’ en demeure étonnée :
Il a les mains camuses !

Elle, je l’ aperçois au loin.
Tête baissée, les épaules voûtées,
Masse grise marchant lourdement
Sous son grand parapluie rouge,
Son sac à main aussi, rouge,
Qui ont appelé mon regard.

Lui avance,
Tête nue, bouche ouverte,
Hébété.
Ses bras ne se balancent pas ;
Une jambe après l’ autre,
Précautionneusement, pusillanimement,
Cherche la pavé
Sur lequel se poser.
Le sol aurait-il pu se dérober ?
Et sa tête,
Où s’ en est-elle allée ?

Josette Nicolas.

Atelier Couture de carnet Couture hollandaise de Lise écriture et silence Le corps…c'est dur aussi ! Odile nous montre la couture des livres
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