Hélène Lenoir : L’entracte

Jeudi 19 septembre 2013

Hélène Lenoir nous plonge dans la conscience de ces personnages, leurs errances, leurs questionnements… L’entracte regroupe cinq nouvelles mettant en scène des êtres qui vivent une relation amoureuse depuis des années. Ils sont pris entre leur désir de mettre un terme à cette relation, de fuir et celui de rester.

Il l’aimait bien, il aimait la tenir dans ses bras. Mais la regarder, non. Ou alors à son insu, quand, n’ayant pas encore repéré sa présence, elle avait cette fraîcheur, cette légèreté d’avant, et l’émotion était aussi brève que ça : fraîcheur et légèreté s’affaissant aussitôt, ternies par ce savoir, avant, quelques mois ramassés en quelques secondes. Un poids. Il l’appelait pour qu’elle tourne son visage vers lui et il pouvait alors exactement le mesurer, quelques milligrammes, à peine plus qu’une touche de maquillage superflu, les sourcils, la bouche, une petite raideur du cou… Le plaisir de le voir brouillé puis noyé dans l’inquiétude. Ou peut-être l’inquiétude précédait-elle désormais le plaisir, tous les plaisirs.

Elle s’était acheté des escarpins rouges extrêmement pointus avec de minuscules talons beiges, comme des bouts de crayon collés sous les semelles, étrangers aux souliers qui eux-mêmes semblaient étrangers aux pieds, à l’idée de la marche. Il les regardait (…) Ses pas à lui et ses pas à elle qui avait trottiné un peu en retrait, au bord de l’allée, en contournant les flaques et en râlant parce qu’elle savait qu’elle abîmait ses chaussures et que, s’il lui avait dit avant qu’il voulait faire un tour au cimetière en revenant du restaurant, elle en aurait emporté une autre paire qu’elle aurait laissée dans le coffre de la voiture pendant le déjeuner.

  • Une paire comme ?, voulait-il savoir.
  • Une paire, une paire…, enfin, ne me dis pas que tu ne sais pas…
  • Non, je ne suis pas sûr…
  • Une paire plus sport, plus… Oh arrête, tu le sais très bien ! (…) Il lui avait tendu ses clés de voiture : Vas-y maintenant, tu m’attendras… Ou non. Ne m’attends pas, je prendrai le bus.
  • Mais pourquoi ?!
  • Rentre. Laisse-moi, j’ai besoin d’être seul. Elle avait hésité : Vraiment ?
  • Oui.
  • Mais tu es sûr ?… parce que les bus, le dimanche, tu ne sais même pas…
  • Laisse-moi. Elle avait pris les clés et lui avait touché le bras : Tu ne m’embrasses pas ? Il lui avait tendu la joue.

Hélène Lenoir : L’entracte, Editions de Minuit, Coll. Double,2008, pages 67-69.

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