Jean Teulé : Rainbow pour Rimbaud

Jeudi 9 août 2012 — Dernier ajout mardi 7 août 2012

Voici une œuvre assez déconcertante et très spéciale, à mi-chemin entre le roman et le recueil de nouvelles, à mi-chemin entre l’esprit de Rimbaud et celui de Boris Vian : Rainbow pour Rimbaud écrit par Jean Teulé et paru en 1991 aux éditions Julliard.

…dans l’œuvre, il est vrai que Rimbaud est partout : les références et les allusions à sa vie d’homme sont nombreuses : elles se trouvent un peu partout, dans chaque personnage. Rimbaud-Verlaine, Rimbaud en Afrique, Rimbaud et sa mère, Rimbaud et sa jambe variqueuse.

… l’hommage rendu au poète se situe davantage dans les références et les allusions à son œuvre. « Je suis l’homme aux semelles de vent ». « A, noir, E blanc, I rouge ». A travers le roman, souffle un esprit libertaire et anti-conventionnel. Les couleurs sont omniprésentes ; tout un réseau de correspondances entre l’homme et la nature est tissé et là se trouve le principe fondamental de la poésie rimbaldienne.

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Le dimanche, je vais à Orly. A l’heure des croissants, je prends le bus puis regarde les gens qui prennent des avions. J’aime le bruit des aéroports. Je boite et prends ma place dans les files d’attente des guichets ou des comptoirs d’embarquement. J’écoute les conversations. Des gens parlent, de décalage horaire, de température. Ils murmurent des noms de vents : Harmattan, Khalsim… Ils ont des papiers-monnaie différents des nôtres et des carnets de vaccins. Ils disent :

  • N’oublie pas ta Nivaquine. J’aime la forme des billets d’avion. Je les regarde par-dessus leurs épaules. Des hommes, sur le point de partir, parlent des langues étrangères. Lorsque c’est à mon tour au comptoir, je grommelle et change de guichet. Je vais dans la file de Cayenne ou bien de Johannesburg. J’aime les personnes qui vont vers le Sud, dans les pays chauds.

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Au nord de Dakar, près du lac rose, Robert est assis, adossé à un baobab isolé dans la chaleur étouffante. L’arbre est cassé en son milieu. Un gigantesque trou qui descend jusqu’au sol est une bouche d’ombre qui crie dans la lumière. L’arbre ressemble à un meuble parallélépipèdique, sans porte, posé dans un paysage désolé. Le buste de Robert est assis à l’entrée du trou. Ses longues jambes traînent sur le sol, devant l’arbre, et semblent être la langue tirée de la bouche d’ombre

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Au bout de ses interminables jambes-langue, Robert se fait cirer les pieds. Pas les chaussures, les pieds ! C’est un enfant noir qui les lui cire. De toute façon, il n’a plus de chaussures. Il les a échangées au marché Sandaga de Dakar contre trois gobelets de jus de bissap rose aussi trois assiettes bleues, pleine de thie-bou-dienn. Le thie-bou-dienn, c’est du riz mélangé à des restes de poisson. L’enfant est un Toucouleur de la région du fleuve. Il ne parle pratiquement que le wolof. Avenue Pompidou, il avait accroché Robert par la djellaba et lui avait fait signe qu’il voulait cirer ses chaussures. Robert avait répondu :

  • Je pars les vendre. Mais si tu veux , tu pourras cirer les pieds. L’enfant avait ri et adopté Robert. Il a suivi les deux toubabs à Sandaga puis il a pris avec eux le bus du lac rose.

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L’enfant regarde les pieds de Robert, très satisfait lui aussi. Il fait chaud. Robert s’assoit alors, maladroitement, contre le grand trou de l’arbre. Son menton fond contre une clavicule. Robert transpire beaucoup. Il reprend son compas soviétique. Depuis une semaine, il se tatoue sur la poitrine « Le sonnet des voyelles » : A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, je dirai quelque jour vos naissances latentes…

Robert a maintenant de longues croûtes de poèmes de Rimbaud, partout en travers de la figure. Derrière les oreilles, sur la nuque, partout. Celle qu’on lit le mieux, c’est la plus grosse, la phrase-moustache : « JE EST UN AUTRE ».

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