Michelangelo possède un carnet, un simple cahier qu’il a réalisé lui-même : des feuilles pliées en deux, retenues par une ficelle, et une couverture de carte épaisse. Ce n’est pas un carnet de croquis, il n’y dessine pas ; il n’y note pas non plus les vers qui lui viennent parfois, ou les brouillons de ses lettres, encore moins ses impressions sur les jours ou le temps qu’il fait. Dans ce cahier tâché, il consigne des trésors. Des accumulations interminables d’objets divers, des comptes, des dépenses, des fournitures ; des trousseaux, des menus, des mots, tout simplement. Son carnet, c’est sa malle. Le nom des choses leur donne la vie. 11 mai, voile latine, tourmentin, balancine, drisse, déferlage. 12 mai, garcette, cabestan, varangue, coupée, carlingue. 13 mai 1506, étoupe, amadou, briquet, mèche, cire, huile. 14 mai, dix petites feuilles de papier lourd et cinq grandes, trois belles plumes, un encrier, une bouteille d’encre noire, une fiole de rouge, mines de plomb, porte-mine, trois sanguines. Deux ducats à Maringhi, ladre, voleur, étrangleur. Heureusement la mie de pain et le charbon sont gratuits.
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Quatre chemises de laine dont une déchirée et tachée de sang, deux pourpoints de flanelle, un surcot de la même matière, trois plumes et autant de fiole d’encre, un miroir brisé, quatre feuilles couvertes de dessins, deux autres d’écritures, trois paires de chausses, un compas, des sanguines dans une boîte de plomb, un étui d’argent contenant des sels, une timbale du même métal, voilà l’inventaire précis de ce que l’on trouvera dans la chambre de Michel-Ange après son départ, méthodiquement consigné par les scribes ottomans. (…) Le seul objet qu’il a emporté, c’est son carnet, dans lequel il note quelques derniers mots, alors que le navire passe la pointe du Sérail. Apparaître, poindre, briller. Consteller, scintiller, s’éteindre.
Mathias Enard : Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud 2010, pages 22 et 141.