Elle dit ses mots dans un murmure. Je ne réponds pas. Pas tout de suite. Je ferme les paupières, me concentre sur la nuit, son goût de sève et d’écorce, sa lointaine rumeur marine. Elle repose la question, la tête lovée dans le creux de mon épaule, ainsi que le faisait Anaïs il y a des années de cela, le soir sur la terrasse face à la baie, de ma main je caressais sa joue fraîche et ses cheveux, laissait courir mes doigts dans son cou, le soleil se couchait sur la pointe et le ciel cramait, s’incendiait en trainées rouges et mauves. J’acquiesce et elle essuie la buée de ses pupilles, se tait un long moment puis me dit qu’il est mort, que si je suis là c’est qu’il est mort. J’ignore de quel raisonnement, de quel pressentiment nait cette certitude. Elle paraît bouleversée, anéantie comme l’était l’homme au distributeur tout à l’heure. Je la regarde et je me demande ce qu’a pu laisser ici Nathan de lui-même, d’à ce point brûlant, d’à ce point vivant, quand il me semble qu’en France, dans la maison de mes parents, dans le regard de ma soeur, dans ceux de mes enfants, tout s’est éteint si vite. Qu’a t’il laissé ici, si loin de chez lui, qui perdure et flotte, dont je sent partout la vibration, au sommet des falaises, dans les rues de la station, sur chaque visage que je croise, chez Natsume, sur la bouche d’Hiromi qui m’embrasse soudain, dont la langue fouille la mienne, vive et fraîche entre les lèvres épaisses et douces.
P154-155
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