Anima

Mercredi 16 janvier 2013 — Dernier ajout lundi 12 février 2018

Proposition d’écriture qui convoque le roman de Wadji Mouawad : Anima, roman dans lequel l’auteur laisse l’intrigue se dévoiler au travers d’une multitude de voix animales.

Proposition


∞ Lecture d’un extrait de Wadji Mouawad : Anima, Lemeac / Actes Sud, 2012. > Proposition de choisir un animal et d’accumuler de la matière sur ce qu’il nous évoque. Mise à disposition des fiches documentaires sur les animaux. > Laisser apparaître un personnage : faire des hypothèses sur ce qui le rapproche de l’animal choisi précédemment. Lui donner un nom, un prénom, un sexe, un âge éventuellement un lieu de vie.

∞ Rotation : prendre une nouvelle feuille A4, écrire en haut de la page le nom de l’animal choisi. Faire tourner les feuilles en la transmettant à son voisin de gauche, écrire sur la feuille que l’on reçoit ce que nous évoque cet animal. Faire tourner une deuxième fois les feuilles dans le même sens ; écrire au dos de la feuille des hypothèses sur ce qui pourrait relier l’animal avec le personnage.

∞ Lecture de Hervé Laroche : Dictionnaire des clichés littéraires, Arléa 2012, et l’entrée "chat". Chacun récupère sa feuille et se saisir des annotations des participants qui semblent intéressantes, retirer des listes tout ce qui semble relever du cliché.

∞ Écoute d’une interview de Wajdi Mouawad dans le « Carnet d’Or ». Proposition : Écrire un moment, un évènement de la vie du personnage au travers d’une voix animale. Chercher cette voix animale, creuser sa relation au monde, sa rythmique propre, sa tension…


Les textes

Chagall et Jacob

J’ai erré longtemps, autour des pierres bâties, avant de voir la lueur. L’homme est là, je le sens. La fenêtre est fermée. J’attendrai. Je le regarde s’affairer. Aujourd’hui, il s’affaire. C’est rare, de plus en plus rare. Il vieillit, comme moi, il chasse moins. Il passe plus de temps dans ses fauteuils, dans les grandes pièces de ce grand bâtit. Il a souvent avec lui des objets à l’arôme forte, constellés de signes. Il tète un tuyau de bois à l’odeur fauve et âcre et il scrute les signes. Je ne miaule pas. Il devient sourd. Il connaît mon heure, celui de la tombée de la nuit. Ce soir, c’est différent, je le ressens, il va, il vient. Il dispose des plats pour manger. Ça me donne faim. Je m’impatiente et fait crisser mes griffes contre la vitre. Il part de la pièce, revient avec un récipient vertical avec un liquide noir, sombre. Je saute des deux pattes sur la chambranle. Ça y est, il m’a vu. Jacob, c’est son nom d’Homme. Moi, il me nomme Chagall où Pépère, ça dépend de son humeur.

  • Entre, Pépère, me dit-il en ouvrant la fenêtre. Je me dirige droit vers la cuisine. Il a pensé à moi. Je mange. Aujourd’hui du foie, hier du thon, entre les deux quelques mulots. Je me lèche et me pourlèche. Lui, vient, va, encore, impatient. Il a fait du feu dans la cheminée. Je me prépare à me poser, tel un cliché sur le fauteuil près de l’âtre sous le regard exaspéré de l’ancêtre Igor Zagadanovitch, quand la sonnette du carillon retentit : Ding-Dong. Avant j’entendais les pas crisser sur le gravier. Je deviens vieux. Ding-Dong. Je suis sous le fauteuil. J’attends. Il fait pénétrer l’intruse. Oui, c’est bien une femelle. Je les reconnais malgré les odeurs déplaisantes dont elles s’inondent. Les humains passent leur temps à vouloir masquer leurs odeurs corporelles. Celle-ci est douce, je la connais. Elle vient de temps en temps. Elle caresse et aime plonger ses doigts dans ma fourrure. De bons moments en perspective ! Je louvoie entre ses jambes, elle se penche.
  • Bonjour Chagall. Elle a dit bonjour à Jacob en se frottant contre lui avec sa bouche et lui avec la sienne. Jacob, lui, a une bonne odeur de mâle, j’aime le sentir. J’aime lorsqu’il revient des collines. Il reçoit quelques visites, parfois. Des femelles surtout, des jeunes, des vieilles. Ça y est, ils mangent, je respire l’animal rôtit, la sauce au beurre et ce liquide noir qui sent la terre et les fruits. Jacob rit, il à l’air bien, détendu, plus qu’avec l’autre, celle d’avant, celle qui claquait les portes, me chassait avec le balai, criait à tout vent qu’elle en avait assez de cette foutue baraque perdue au milieu de nulle part. Un jour, son odeur musquée est partit avec elle. Jacob a passé beaucoup de temps dans ses fauteuils, le tuyau de bois éteint, les yeux aussi, comme morts. Il me fallait réclamer, miauler pour trouver pitance. Et puis, il a recommencé à dévaler les collines. Un soir, la douce est venue, a mis ses doigts fins dans mes poils, à mis sa bouche sur sa bouche. A mélanger son odeur à son odeur. Dans toute les pièces je l’ai respiré, humé. Jacob a remis les sons qui font vibrer l’air et mes moustaches. Je l’ai surpris à tournoyer dans la pièce en rythme avec les sons. Parfois, je sors la nuit, à la saison des amours. Parfois, je reste à l’affût lorsqu’ils s’aiment à leur tour.

Fleur de carotte


La mouche et le clochard

Entrée bourdonnante, sans crier gare, par une fenêtre entr’ouverte, je suis chassée aussitôt à grands coups de journal et de tapette. Je vais, viens, virevolte, erre de poubelles en poubelles quand… est-ce son odeur qui m’attire, son immobilité en plein soleil, un je ne sais quoi…

  • « je sniffe, je kiffe … oui c’est ça ». Je me pose sur sa main, sa main ne bouge pas d’un pouce de Petit Poucet. J’ose le bout de son nez. Il grogne. Pas de tapette ni de journal, pas de grands geste ulcérés.
  • « Celui-là, il ne fera pas de mal à une mouche ». Son nez, un promontoire pour observer de mes yeux rouges à mille facettes (dixit les scientifiques) l’agitation urbaine qui nous entoure. Lui, il somnole, un papier gras à ses côtés. Du nez, je passe à la tête, poisseuse. Cheveux éparpillés, qui puent le mégot. Puis à la barbe, touffue, hirsute, où traînent quelques miettes. Je m’active à inspecter ses baluchons. C’est là qu’il commence à bouger, nonchalant, en rotant bruyamment. Il ne me chasse donc pas, comme une intruse que je suis, toujours. Tout en survolant son quignon de pain rassis, je note des chiffons autour de ses pieds.
  • « étrange ce mâle, pas normal… poussons plus loin l’examen… ». Curieuse, collante, agaçante, je ne suis plus la seule petite mouche à bourdonner autour de lui. Concurrence encombrante ! Mais Klaus, sexagénaire déchu, suscite notre sympathie, nous petite gente ailée non désirée, mouches à miel, mouches à merde et j’en passe. Fait-il partie lui aussi d’une race vouée au rejet, au mépris, voir au crime organisé en douce ? Solitaire au milieu de la foule, silencieux au milieu du vacarme urbain, ses congénères l’évitent du regard. Il ne s’en soucie pas plus que de sa dernière chemise, bien délavée à vrai dire, sous son anorak anachronique en ce début d’été. Un mâle vient se frotter à moi, c’est la saison qui veut ça. Un rire gras et tonitruant nous surprend dans notre étreinte brève et brutale interrompue brusquement.
  • « Prend-il la mouche ? Quelle mouche le pique donc ? » Me voilà volant à toute vitesse à contre-courant du vent qui se lève, en même temps que Klaus, décidé à dégourdir ses jambes jusqu’à l’ombre du trottoir d’en face où l’attend une commère à la dérive.

Autre sujet de diversion, j’y vole !

Rolande


Des souris et l’homme

On vit là peinards Moi ma petite famille Sans humains Sans fromage aussi Dans cette vieille bicoque On vit On se reproduit Chacun son nid Chacun son trou Quelques petits détours dans les bois alentour De la cave au grenier on s’étale On vivait là peinards Moi et les miens Un jour Il est arrivé Petit pour un humain Le museau tout effilé Plein de poils ébouriffés Un jour ou peut-être une nuit Il a posé sa besace Défait ses godillots Et nous voilà nous les mulots tout effarouchés A côté de nous Un autre que nous Plus grand plus lourd Moins agile Plus balourd Un humain ! Il va Revient Tire une vieille chaise Se pose A son aise Sort de son sac Un couteau un peu d’eau Nos moustaches frétillent Nos gosiers salivent Nos regards s’émoustillent De la tome à tire larigot ! C’est bien un humain Il a aussi dans les mains un morceau de pain Malgré la fatigue et l’étonnement On attend Sagement La nuit nous savons bien que dorment les humains Il tarde Il grignote Se lève ouvre la porte Et encore un p’tit morceau d’fromage Et toutes ces miettes autour de ses pieds Épuisé va-t-il se coucher ? Se lève encore Ouvre à nouveau la porte Sort de sa gorge une voix fluette qui rivalise avec nos vocalises Une chanson douce Branle-bas Tous aux miettes Quelle dînette mazette Pas sauvage Le voilà qui nous apprivoise Besoin de compagnie Il a fui De quelque part Quelqu’un Il parle Aux murs Au silence Une femme revient Par ses mots dessinée Son visage s’éclaire Un tendre sourire habille soudain ses lèvres Le morceau de pain lui échappe Branle-bas chez les miens Il vit la nuit Comme nous trottine Une bougie Un clair de lune Le matin il s’endort Part loin Revient A la nuit bien tombée Il chante vers le bois tourné Nous sait là Accepte notre brouhaha Nous écoute Observe nos cavalcades S’amuse de nos petits Squatte avec nous cette malheureuse masure À sa mesure Retiré du monde Il cuve sa peine De l’amour se guérit Consomme ce répit Loin des hommes Des femmes aussi

MK Brioude janvier 2012


Moi le rat, j’habite un joli coin de campagne, dans une ferme paressant abandonnée. Autrefois bien vivante et animée, mais les propriétaires s’en sont allés. Puis un homme est venu quelques heures dans la journée, quelques jours de la semaine, allant et venant. Cet homme que j’appellerais Raoul est peut-être un cousin bipède ! Il semble fureteur, il examine tout mouvement, tout déplacement. Il veille et surveille le secteur. Il arrive en voiture, je reconnais son allure, sa façon de se déplacer. Donc je reste vigilent, me faisant tout petit pour ne pas le gêner. Il démarre du matériel qu’il prend dans le garage, dans la grange ou dans une remise. Ha, aujourd’hui, il débroussaille, tant mieux, je serai plus en sécurité moi aussi. Il est petit, bedonnant, avec une fine moustache grise et une casquette vissée sur un crâne dégarni et blanc. J’ai vu cet homme être tendre avec son chat avec qui il partageait sa pitance. J’ai vu cet homme accompagné d’une chèvre le suivant pas à pas. J’ai vu cet homme en moto accompagné par un vol de pigeons durant un moment. Que fait-il aujourd’hui ? Sera-t-il seul ou accompagné des membres de sa famille qui s’ébattent en tous sens ? Il parait toujours sur le qui vive avec ses petits yeux ronds, inquisiteurs, fureteurs, malicieux. On dirait qu’il flaire parfois. C’est aussi un gourmand car il ramasse tous les fruits qui m’entourent et ne m’en laisse guère. Il a l’oreille attentive. Sentirait-il comme moi les vibrations. Comme moi, serait-il le premier à partir s’il y avait péril en la demeure ? Comme moi, mérite t-il une mauvaise réputation ?

M. Antoinette


Je l’avoue, c’est parfois utile d’être un chat : je me faufile dans la salle de spectacle et me coule discrètement dans un coin sombre d’où je peux observer la scène. Le rideau s’ouvre et je ne vois qu’elle. Au son d’une musique orientale, elle danse, douce et sensuelle, ses longs cheveux noirs ondulant sur son corps souple. Elle sublime cette danse, toute de charme et de volupté. Mes yeux sont embués ; tant de beauté m’émeut et me ravit. Dans cette atmosphère de recueillement, les applaudissements qui crépitent sont un brutal contraste. Pourquoi faut-il toujours qu’« ils » fassent du bruit ! Ils gâchent ma douce joie muette. La prudence me conseille de me sauver prestement. Je retrouve la jolie Marie chez elle. Habituellement, je pense « chez moi » ! Mais je lui en accorde la propriété, tellement je suis encore sous le charme. Elle me prend dans ses bras et m’entraîne dans quelques pas de danse en riant aux éclats. Son bonheur me rend heureux mais j’apprécie que nous rejoignions le canapé ! Elle me caresse. Elle chantonne et je ronronne. L’un avec l’autre, nous faisons toujours patte de velours. Mais nos griffes ne sont jamais loin. Soyez sur vos gardes ! Pour l’instant, vous pourriez nous voir échanger des regards tendres et si doux qu’ils nous innocentent à jamais !

Mady


Dans le jardin m’éveillant au printemps, je suis sortie, moi le matou. Un petit creux, une envie de chair fraîche m’appela à l’extérieur. Un oiseau suicidaire apparaît dans mon champs de vision. A pas de velours je m’approche, me léchant par avance les babines. A cet instant précis Mac Lotta décida de sortir. Je peux dire qu’il a bien choisi son moment celui-là. Le bruit fit fuir ma proie dodue. La colère noue mes tripes. Mon regard se tourne vers Mac. Je lance un miaulement colérique pour lui exprimer mon mécontentement. Habillé de noir Mac s’est arrêté sur le seuil de sa porte. Son paquet de cigarettes à la main, il sort une cigarette, l’allume, et ce ne sera que la première d’une longue série. Mac fume à perdre haleine. Moi le chat de gouttière je le connais si bien, je l’ai choisi. Deux âmes qui se sont croisées et se sont reconnues dans l’obscurité d’une vie. Faire un bout de chemin avec cet humain. Ma liberté j’ai choisi de l’aliéner à ses pas. Mon maître entre mes deux oreilles. J’adore. M’allongeant sur le dos, je réclame d’autres caresses. Mais perdu dans ses pensées, mon maître poursuit son chemin. Son esprit est loin, bien loin de moi, oubliant le chat. Je connais sa prison à lui, c’est elle.

Sylvie


Elle a poussé mon fauteuil contre le mur. J’ai tendu le nez… Elle ne m’a même pas regardé ! Pourtant j’étais là, sur mon coussin, dans mon rayon de soleil : un mouvement brusque, un souffle d’ombre froide sur mon dos, le long de mes pattes. Elle a mis la musique triste, celle qui grince, celle qui dresse les poils sur mon dos et hérisse mes moustaches. Elle se couche sur le tapis, dans la lumière et s’étire. Les bras, les jambes. Se tourne, se retourne. Les mêmes mouvements, le même rythme. Elle se plie, se déplie. Pourquoi ? Elle ne fait pas sa toilette. Elle ne dit rien. Il n’y a qu’elle et moi, et son corps ne me parle pas. Elle joue avec ses mains, ses pieds … elle joue seule. Si je m’approche, elle me chassera. Tout à l’heure elle s’en ira après avoir mangé des nourritures d’oiseaux, bu de l’eau. Elle ne veut rien pour moi. Je ne peux rien pour elle. Quant elle sera partie ; j’irai, comme elle, au soleil sur le tapis, je frotterai mon dos dans son odeur et j’étirerai mes pattes avant, mes pattes arrière. Je me plierai, je me déplierai. Pareil à cette humaine qui parfois, en araignée du jardin marche sur un fil ou en oiseau fou se balance sur la branche qu’elle installe dans la grange.

Dominique


Dans les hautes herbes où je suivais la piste d’un rongeur depuis quelque temps, je m’arrêtai brusquement. Ce n’était pas une proie qui arrivait, je savais d’instinct par les vibrations du sol que c’était grand et lourd et qu’il fallait me cacher au plus vite. La grande écorce d’un vieux tronc de sapin, au sol, m’offrit un abri providentiel. Enroulé sur moi-même, je vis cette masse sombre s’agiter devant moi. En quelques allers et retours de langue, je fus certain d’avoir identifié cette menace. Plusieurs fois déjà j’avais échappé à cette odeur qui m’avait poursuivi lors de mes chasses près des habitations. La forme devant moi s’agita, déploya comme un feuillage, s’en recouvrit, s’immobilisa. Contrairement aux autres formes qui avaient essayé de me frapper, celle-ci n’avait pas de bâton, mais une sorte de boîte noire qui parfois réfléchissait le soleil dans mes yeux sans paupières. Combien de temps cela dura ? Je ne sais pas. Mon corps me disait que la nuit allait bientôt tomber. Finalement la forme changea de place, le feuillage disparut et c’est une masse d’une autre couleur qui sortit de mon champ visuel. Je décidai de passer la nuit sous mon abri de fortune, le mulot y aura gagné quelques jours de répit.

Christian


Cela a commencé par un grand remue ménage, des éclats de voix et le père que des hommes en blanc ont transporté hors de l’appartement. Et, quelques heures plus tard, on m’a jetée dehors, dans un espace d’allées et d’herbe, d’un groupe de grands arbres, les branches penchées vers le sol. Les enfants m’ont posé mon récipient de nourriture et mon écuelle d’eau sous un des gros arbres, et j’ai grimpé de terreur sur une branche, hors d’atteinte des humains inconnus, parlant une langue dont je ne reconnaissais pas les mots familiers, les intonations. J’ai bien essayé de rentrer, en suivant les enfants lorsqu’ils revenaient de l’école, et qu’ils venaient en cachette me faire une caresse, mais la mère me chassait en disant : ne reviens plus, c’est à cause de toi, papa est allergique… Je commençais à m’habituer, mais j’avais souvent peur. Puis, un jour, une femme m’a attrapée, m’a parlée calmement, mise dans une cage, j’ai été malade pendant un long moment, dans des endroits de fracas, d’odeurs, de vitesse, que je n’avais pas le temps de comprendre. Lorsqu’enfin, on a ouvert la porte de la cage, j’ai vu un homme, j’ai senti les odeurs d’animaux, d’arbres, l’odeur d’une maison, un lieu inconnu. Les voix étaient douces, rassurantes, mais j’avais encore peur. Pendant de longs jours, j’ai observé, la patte sur le recul, je mangeais en ne rentrant que la nuit, par une trappe que j’ai vite repérée. J’ai pris mon temps, tout mon temps, enfin un temps de chatte, et j’ai accepté que l’homme m’approche, les bras derrière le dos, pour me rassurer, me parle de près et me caresse, front contre front. Ma vie de Satine, puisque c’est à ce nom que je réponds, (ou pas), aujourd’hui, je veux la vivre avec cet homme, dormir blottie au creux de ses genoux, aller le voir couper du bois ou donner à manger aux oiseaux, jouer à lui demander d’ouvrir ma trappe au lieu de risquer de me coincer la queue avec le couvercle et, au temps de la chaleur, me faire éplucher les tiques de ses mains. On vibre ensemble, il est nonchalant et indépendant comme moi, on se comprend, c’est un homme chat.

Simone


Je plane sur deux cents mètres et me pose sur ce mélèze près de la voie de chemin de fer. Il est quatre heures, l’heure des insomnies ; de son insomnie répétée inlassablement hiver comme été. On voit très loin d’ici, au delà du village, vers les premières neiges. Tout près, en dessous, sa maison démodée de garde barrière. Il y a longtemps que le train ne passe plus mais le père Petot se réveille toujours à l’heure du Dôle-Genève . Il va pousser la porte, ses cheveux blancs hirsutes, inquiet des petits bruits de rien : le craquement gelé des feuilles,un clapotis,le bois qui frémit.

C’est notre rendez vous. Il ne me voit pas. Il sait que je l’observe de mes yeux jaunes. Je suis sa présence, son réchauffement de plumes, sa tiédeur manquante, son éveil étoilé. Je pivote vers l’est qui rosit. Allez, ne t’en fais pas, il n’y en a plus pour très longtemps. Tu retrouveras le compteur du jour qui passe ; tu t’affaireras à de menues choses. Moi, je me déploie, mes yeux s’illuminent. Je traverse le brouillard naissant ; je guette l’arbre préféré, celui qui accueille le repos diurne, mon havre à moi contre l’écorce. Au feu de ta première cigarette roulée, je pousse mon cri.

Marie-Paule

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