Instantanés

Vendredi 17 avril 2020 — Dernier ajout samedi 2 mai 2020

Nos ateliers en temps de confinement s’adaptent. Certain(e)s d’entre nous se sont lancés dans l’atelier en visio-conférence, d’autres comme avec celui-ci ont utilisé le mail, les messageries des réseaux sociaux et même l’autorisation de déplacement, jusqu’à la boîte aux lettres de l’animatrice pour continuer ce lien des mots.

Pour permettre l’échange des textes de nos ateliers mixés, nous les partageons donc sur le site.

D’après la nouvelle « Instantanés » de Gao Xingjian dans le livre « Une canne à pêche pour mon grand-père ».

« Gao Xingjian appartient à ce qu’on pourrait dire l’école du vrai. De fait, chaque mot qu’il écrit est lesté de son poid de sens vécu et trouve sa place dans une langue limpide et pure de toute fioréture-chaque mot sonne vrai. » Jean Louis Kuffer

On a remarqué, en ce temps de confinement combien nos rues, nos villes et villages ressemblaient par leurs manques de présences humaines aux tableaux de Hopper., malgré tout, lorsque nous sortons pour quelques courses, pour nos sorties autorisées, lorsque nous regardons par nos fenêtres, nous croisons quelques unes de ces présences, nous les photographions dans notre esprit, d’autant plus qu’elles sont plus rares. Souvent, même, on revient chez nous et nous relatons une anecdote, une de ces scènes à nos proches qui confinent avec nous ou au téléphone, nous les racontons. N’avons nous pas un intense besoin des uns des autres ?

Voici quelques extrait des "instantanés de Xian Xingjian :

instantanés1
instantanés2
instantanés3

Et bien, couchons sur nos papiers ces présences. Comme de petites photographies, comme de petits instantanés, sans fioritures, de manière simple, pour que les mots sonnent vrais. On essaiera d’en récolter au minimum une par jour pendant notre semaine. Puis, nous les relirons, jeudi, vendredi et nous en choisirons 6 qui nous plaisent plus que les autres. Vous pourrez les envoyer et les partager à l’adresse mail des Tisseurs de Mots et je les mettrai avec plaisir en dessous de la proposition écrite ici afin de partager vos instantanés….peut-être auront-ils une suite, une seconde vie la semaine prochaine, alors, ne les perdez pas ! Belle semaine.


Instantanés de Marie Paule

L’œil du confinement

Vendredi

Anouk 12 ans est chez son père ; je ne l’ai pas vu depuis 5 semaines.Aujourd’hui vidéo .Dans l’écran elle se coiffe et regarde ailleurs .

  • "Comment vont tes copines , elles te manquent ?
  • Non ça va Mamie, je sais qu’elles sont pas mortes "

Dimanche

La mamie sait coudre .Elle s’est fabriqué un masque avec un torchon de cuisine rouge et blanc.Elle devait rêver d’une auberge de campagne .Son sac est petit,une femme seule. Tiens !! Elle traverse en dehors des clous et en biais . L’impression d’avoir plus d’air et d’espace .A petits pas .

Samedi

Le voisin qui a soixante ans vit avec sa mère ; il ne se quittent jamais.Je reviens de ma courte balade et je passe devant chez eux. Ils ont une vieille caravane dans leur jardin .Cet après midi c’est café sous le cerisier en fleur . Elle porte un foulard vert sur la tête, pas sur la bouche .On se fait un signe.Elle rit .

Lundi

Salle d’attente vide .Une affiche sur le mur « le Dr P……sera absente du 20 avril au 4 mai «  Elle va se reposer avant la bousculade du déconfinement .Tous les malades du foie qui ont mal digéré les chocolats de Pâques auront attendu.

Mardi

Salut voisine !!
Elle s’affaire « j’avais des rouleaux de papier peint qui restaient….je refais l’entrée, elle sera orange,c’est optimiste ! »

Mercredi

Jour de courses. Peu de gens sur la route. Une Opel arrêtée , un monsieur en sort avec un téléobjectif…….Non ! Un touriste clandestin ?
Intriguée je ralentis .Il photographie la vierge d’Usson. Une photo pour une prière à l’étroit. C’est certain les vierges font partie des nourritures de premières nécessités . Il a fait une pause entre le vin et le pain .

Instantané de Michèle

Lui est installé devant la bergerie entr’ouverte et porte un tablier long et épais. Une brebis du Velay sort, qu’il attrape lestement et assoit entre ses jambes. Sans agitation et sans bruit il la tond avec précision.
Une harmonie les unit où chacun tire bénéfice de l’effort accompli.
Elle, elle ramasse par brassées les paquets de laine noire qui s’amassent au pied du tondeur et les trie avec dextérité.
Elle remplit deux énormes sacs de jute, l’un pour la belle laine, l’autre pour la laine abîmée ou souillée. Au bout de
la chaîne, chapeaux de feutre, jambières, mitaines et autres châles s’exposent sur l’étal du marché.

Instantanés de Thian

Instantanés de Bernadette

Samedi
Dans le pré en pente en face une femme bottes pantalon veste monte . Deux chiens baguenaudent à ses cotés la truffe au ras du sol.

Dimanche 
Bras grands ouverts il vous accueille derrière la boite aux lettres . Casquette solidement enfoncé sur sa tête en pot de fleur , moustache en guidon de vélo , écharpe écossaise cachant l’absence de cou , anorak de ski en toute saison et jeans flottants au gré du vent . Il cache un vilain poteau en béton .

Lundi
Sur sa tête une espèce de calotte aux rouges et jaunes délavés ,une canne taillée dans un bâton à la main, ses fines lunettes en acier sur le nez et une toute nouvelle rangée de dents bien alignées le rajeuni de 20 ans

Mardi
Une grande femme brune parle parle parle avec l’épicière qui attend sa commande. Elle parle sans s’arrêter. Les clients qui attendent à l’extérieur passent d’un pied sur l’autre, regardent de loin les fruits exposés . Elle parle encore quand l’épicière réussi à lui emplir son cabas. Quand elle glisse sa carte bancaire dans l’appareil elle parle . Quand enfin elle sort du magasin et voit.

INSTANTANES 2

Texte de Marie-Paule

L’œil du confinement (avec 3 clins d’œil)

Annette ne sait plus grand chose de ce qui se passe au village .Ces derniers temps elle a une vie d’ermite ,pour son bien qu’ ils disent ,elle a l’âge de tous les dangers.

Seule fenêtre sur le monde :la visite de son fils qui fait les courses à Issoire ,le jeudi .Il arrive,petit café à distance. Il aime farfouiller dans la grange,y récupère des vieux morceaux de contre plaqué,des restes de peinture,bref de quoi bricoler un peu chez lui,en bas .Elle l’entend qui s’affaire . Elle s’accoude au balcon,il s’adosse à la porte du garage .Il ne monte pas et pose le sac au pied des marches.Elle ira le chercher plus tard .

Dans le village on ne voit âme qui vive .Antoinette n’a pas internet . - » Montre moi les petites dans ton téléphone … - les voilà hier soir sur le canapé avec le chien.Elles étaient excitées ! Regarde aussi cette photo d’Usson que j’ai faite à cinq heures jeudi dernier ,le ciel était tout rose avec des nuages étirés comme des écharpes . Bon,il faut que tu marches un peu tous les jours ! mais je vais acheter ma baguette » !

Annette a fouillé ses armoires .Elle a trouvé des restes de tissu d’ameublement à fleurs .Trop épais. Il y a longtemps que la Singer n’est pas sortie…..elle a du mal pour enfiler l’aiguille . Zut il faut le coudre ce masque quand même !……avec ce torchon blanc quadrillé de rouge ?bof, personne ne la verra .Elle l’aurait préféré plus sombre,discret ou alors en dentelle comme au carnaval de Venise .. mais il faut pas de trous, voyons ! « Maman, je vais tirer la photo d’Usson,je te l’apporterai .Tu auras l’impression de respirer plus grand avec ce grand ciel et tu verras la Vierge aussi .Elle te surveilleras……pas de bêtises hein ?

Il s’en va ,envoie un baiser dans l’air pur qui flotte comme un papillon jaune . Elle le regarde partir,la route monte un peu dans les collines silencieuses ,le paysage qui verdit,le printemps des oiseaux complice.

Non elle n’allumera pas la télé . Oui elle mangera dehors . Le chat saute sur ses genoux d’un bond souple .Ils se tiennent bien compagnie .Il paraît que caresser un animal est bon pour le cœur.En secret elle espère que le sien rajeunisse . En attendant sieste, dix minutes .

Elle a posé sa tasse de café dans l’évier,a pris son porte monnaie et plié en six l’autorisation de sortir de chez elle (à son âge !)écrite à la main avec son bic . Bon,c’est dans la poche .La liberté côtoie la monnaie . Le voisin a tondu autour de sa vieille Caravelair quatre places .Il y a un air de Palavas les flots dans ce jardin auvergnat immobile .La voisine portait peut être un bikini……

Antoinette rêve en approchant de la boulangerie,une baguette et un éclair au chocolat ,tiens . Elle traverse sans regarder à petits pas .

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