L’objet révélateur

Samedi 27 octobre 2012 — Dernier ajout vendredi 9 novembre 2012

Proposition

À partir d’une liste d’objets ( 3 ) écrire sur chaque une façon saugrenue ou détournée de s’en servir, de s’en emparer, de l’utiliser. Quelques lignes sur chaque objet.

3/Lecture du texte de Philippe Djian.« Maudit manège » p140

Je voyais encore la scène. J’étais planqué derrière le rideau de la cuisine et j’observais Véra dans le jardin. J’attendais qu’une merde de pigeon lui tombe sur l’épaule. Parfois j’essayais de m’imaginer ce qui lui passait par la tête. Elle se tenait immobile, les poings sur les hanches, et regardait une de mes chaises longues pliée sur le gazon en prenant un air inquiet, comme s’il se fut agi d’une créature de l’autre monde. On avait envie de lui dire que ça ne mordait pas, qu’il n’y avait aucun danger.( …) Je me demandais ce qu’elle fabriquait. Il faisait bon, la matinée était calme et je ne m’attendais pas à voir un vent de folie balayer le jardin. Quelques moineaux étaient posés sur la haie. Brusquement elle s’est penchée en avant et elle a empoigné une chaise longue. Je n’avais encore jamais entendu parler d’un être humain incapable de déplier une chaise longue. Pour commencer, elle a secoué l’engin dans tous les sens et les oiseaux ont filés. J’ai vraiment ouvert des yeux ronds. Quand je dis secouer, je ne veux pas parler du geste qui ferait s’agiter un mouchoir sur le quai d’une gare ou s’égoutter une petite cuillère sur le rebord d’une tasse, non ce que je veux dire, c’est qu’on avait l’impression qu’elle essayait de se débarrasser d’un chien enragé. Je l’entendais parler à la chaise longue dont le bois grinçait. J’étais hypnotisé. La partie qui servait à reposer les jambes c’est soudain déplié et lui a claqué les genoux. Elle a tout lâché en poussant un rugissement terrible. Je me suis caressé le menton. Je n’aurais pas donné ma place pour tout l’or du monde. Elle a envoyé un coup de pied dans la chaise. Puis un autre. Puis elle l’a ramassée de nouveau et l’a manipulée de la façon la plus étrange qui soit sans s’arrêter de gémir, transformant cette pauvre chaise en casse-tête insoluble.( …) Un vieux s’était arrêté sur le trottoir pour profiter du spectacle. Il l’a regardait en souriant, les mains croisés dans le dos. J’aurai aimé lui adresser un petit signe, seulement Véra l’a repéré au même instant. Elle a grogné en brandissant la chaise dans sa direction. Il a bondi en arrière avant de traverser la rue. Moi-même, je me suis reculé derrière le rideau. Il s’est installé un silence de mort autour d’elle. Sa respiration saccadée me parvenait distinctement.(…) les événements se sont précipités. Véra a soulevé la malheureuse au-dessus de sa tête et, s’accompagnant d’un cri de bûcheron, l’a fracassée sur le sol. Le bois était sec, il s’est brisé en plusieurs endroits. Malgré tout, elle s’est acharnée. Chaque fois qu’elle la cognait par terre, un morceau de la chaise disparaissait dans le ciel. Tout de même, il a bien fallu que je sorte. Les débris s’étalaient sur un rayon de plusieurs mètres et elle tenait encore à la main un morceau de bois avec deux mètres de toile à rayures à l’autre bout. Je n’ai pas remarqué qu’elle est un air embarrassé, ou gêné, ou désolé ou quoi que se soit. Ne t’inquiète pas. Je vais la remplacer…a-t-elle sifflé entre ses dents. Je me suis contenté de secouer la tête en regardant autour de moi. Je ne voyais pas ce que j’aurai pu lui DIRE. Comme je tournais les talons et tentais de penser à autre chose, elle a ajouté : Eh bien quoi !…Ce n’est pas la fin du monde !

Écrire un personnage face à un objet que vous détournerez de sa première utilisation. L’objet dévoilera quelques caractères du personnage. L’objet doit conduire à démasquer , à nous livrer le personnage a un moment donné de sa vie, sans connaître son passé, ni son avenir. Choisir l’objet, soit dans ceux déjà proposés ou un autre objet de votre choix.


Textes

C’est à moi de décider.

Je tourne autour d’elle. Tourne comme un pantin. M’arrêtant de temps en temps, la fixant. Je l’imagine et la dévore, comme une œuvre d’art à Orsay. Je m’assoie près d’elle, elle est vide, tout peut être fait. Il n’y a aucune règle, aucun mode d’emploi. Les seules limites c’est moi qui me les fixe. Elle peut être douce et délicieuse, mais aussi peut-elle représenter la colère ? La folie ? Et le désordre ? C’est à moi de décider.

Ma toile est vide. Je peux utiliser un crayon, un feutre, de l’aquarelle, de la gouache, ou du fusain, du papier ? toutes matières est acceptée. Je m’assoie près d’elle, la regarde, son blanc me fait mal aux yeux. Mon regard se ferme. Tant pis je vais me coucher.

Soudain ça me vient, mais oui bien sur ! Je met la main dans ma trousse, sort mon stylo noir, Je vais la toucher, je m’arrête, il manque quelque chose. La musique ! Le volume ! Du son qui perce et qui ouvre toutes les portes, toutes les portes fermés et frustrées. La musique résonne, les couleurs éclatent, ma main ne s’arrête plus, elle ne laisse aucune place à la réflexion, personne ne peut m’arrêter. Il y a juste elle et moi.

La toile fait apparaître ton visage, ton visage arraché, de larmes et de désespoir. Voilà, je ne peux plus te voir, ni te sentir, je ne peux te parler, et me faire pardonner, mais tu ne peux m’empêcher de te dessiner.

Kriss de Valnor


Elle arrangea autour d’elle ses pinceaux, la peinture qu’elle pourra éventuellement utiliser, des morceaux de tissu, indispensables pensa t-elle, enfin son chevalet. Elle regarda alentour, eut l’air de se dire : « mais il me manque quelque chose, c’est sûr ! Zut ! Ah oui, une toile bien sûr ! » Elle bondit à l’intérieur de l’atelier et revint avec une toile gigantesque, mais vraiment gigan-tesque !, et essaya de la poser délicatement sur le chevalet ; oui, enfin elle essaya, car vu la taille du chevalet, la toile ne pouvait s’y glisser ! Elle la tourna dans tous les sens, mit le chevalet à l’envers, posa tout cela sur un buffet qui se trouvait là, suspendit la toile à une poutre (trop haut), la cloua sur la porte (des trous), la renversa à même le sol, cela n’allait toujours pas !!!!!!! Elle s’assit, réfléchit, puis son visage se crispant et en levant les yeux au ciel, sauta à pieds joints sur la toile, la piétina, la mis en lambeaux ; puis, doucement, ramassa les morceaux un par un et entreprit de les disposer autour d’elle comme une corolle.

Personne


La 4L

C’est fin Novembre. Elle vient de l’acheter, couleur châtaigne. Elle ira d’ailleurs aux châtaignes et aux pommes avec. Il faut l’apprivoiser. Elle a pris soin de se la faire livrer devant la porte (elle est d’occasion, c’est la première !). Elle tourne autour, vérifie ce qu’elle peut, ce qu’elle connaît. Mais elle n’y connaît pas grand-chose, pour ainsi dire rien du tout. Elle l’ouvre, elle monte, ou plutôt elle rentre. (pourquoi dit-on « monter dans… » ?). Elle démarre.

Bien vite aux prises avec les sens interdits, les sens uniques, Dieu que c’est compliqué ! Sans compter avec les priorités. C’est bien plus simple à pied. Regarder devant, regarder derrière, à droite, à gauche, simultanément, pas le temps de rêvasser, de lire les affiches qui défilent, de regarder les mouettes… Mais est-ce bien utile ? Je veux dire, une 4L, pour elle ? Le circuit prévu s’écourte. Le tour du lac est remis au lendemain.

Le lendemain, il neige. Elle l’ouvre, elle monte, non elle rentre. Elle s’installe à droite, met les Quatre Saisons de Vivaldi dans le mange-cassettes, allume une cigarette et regarde tomber les flocons sur le pare-brise. L’inspiration lui vient. Elle écrit.

Aurore


103

Rosa entre dans la pharmacie, l’ordonnance à la main. Elle soupire bruyamment en se plaçant derrière la queue atteignant la porte. Beaucoup de personnes âgées avec des ordonnances grandes comme le bras. Rosa a le temps de regarder les produits pour chiens et chats qui prennent tout un pan de mur, les biberons et les tétines en silicone, les sticks lèvres contre le froid, les couches bébés, les couches pépés. Et la balance. La balance ? Trois mois au moins que Rosa ne s’est pas pesée. Elle s’approche tout en laissant son sac derrière la personne de devant, on ne va tout de même pas lui voler sa place ! Tout en gardant un œil inquiet vers l’arrière, elle avance vers l’objet de sa convoitise, la balance. Elle monte sur le plateau. Ding, ding, ding, elle sursaute, une lampe s’allume, une voix susurre « Veuillez insérer la monnaie dans la fente prévue à cet effet ». 50 centimes pour peser mes kilos en trop ! Rosa s’indigne. Elle prend à partie une grand-mère se dirigeant vers la sortie en serrant fermement ce qu’elle pense être le prolongement de sa vie.

  • Vous vous rendez compte ! Ils demandent 50 centimes pour peser nos kilos !
  • Ah, mais ma p’tite dame, tout se paie maintenant, tout se paie !

Rosa revient à sa place en jetant un regard noir à la balance et avance son sac d’un cran. Puis, elle se souvient. Elle a une pièce de monnaie dans la poche de sa robe, dessous le manteau. Elle soulève, se contorsionne, extirpe la pièce de sa poche, coincée bien au fond. Elle fonce sur la balance. S’arrête un instant et a l’idée lumineuse d’ôter son manteau. Elle demande précipitamment à un type au troisième rang de le lui tenir quelques instants. Elle prend son élan et regrimpe sur le plateau. Lit les instructions en clignant des yeux. Des gouttes de sueur brillent à son front et au dessus de sa lèvre supérieure.

  • C’est écrit top petit ! S’énerve t-elle. Elle glisse la précieuse pièce dans la fente, fffuitttt. La machine se met a clignoter et la voix sulfureuse annonce bien clairement : 103 kg. Rosa s’empourpre, pâlit, son corps se tend vers l’arrière. Sa tête se tourne vers les autres, les gens, ceux qui ne devraient pas être là dans ce moment d’intimité entre la balance et elle. Ils la regardent tous. Ils savent. Elle brandit un poing haut vers le ciel. Tous les regards suivent son geste. Elle l’abat sur l’écran clignotant relançant un processus de fête foraine.
     103 kg-103 kg- 103 kg…
  • Mais ce n’est pas POSSIBLE !!! Il y a 3 mois je n’en faisais que 80 !
  • 103 kg-103 kg-103 kg…
  • Je veux être remboursée ! Je veux être REMBOURSÉE !!!!
  • 103 kg-103 kg-103 kg…

Veronik

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