Les ensoleillés au chapeau

Mercredi 19 septembre 2012 — Dernier ajout mardi 2 octobre 2012

Proposition d’écriture réalisée à Bonjour (St Hilaire) par Bernadette Perfetti, lors d’une journée conviviale. Aller vers la fiction , créer un personnage et le mettre dans une situation temporelle précise, identique pour tous les participants, amorcer un texte collectif.

Proposition


1 Prendre une personne assez proche, lister ses particularités surtout ses traits de caractère et les comportements induits par ceux ci.

2 Transformer le personnage :

  • choisir un chapeau dans la collection qui coiffera votre personnage.
  • lui donner une particularité physique
  • écrire "en son for intérieur : description poétique, métaphorique de son énergie interne
  • lui donner un entourage : amis , famille , travail…
  • garder au moins un élément de la personne proche parmi ceux collectés dans la première proposition.

3 Le 14 Avril 2011 aura lieu une éclipse totale de soleil sur toute la France qui durera 8 mn de 13h12 à 13h20. Que fait votre personnage à ce moment ? En relation avec l’éclipse ou pas. Introduire éventuellement un élément perturbateur. Contraintes d’écriture : commencer par l’heure de début du texte, écrire au présent dans une forme entièrement libre.

4 Après l’écoute des textes créés par chacun, lecture d’extraits de Joel Egloff : « Les ensoleillés ». Galerie de personnages construite autour de cette même situation : une éclipse totale de soleil.


Les textes

Un parisien éclipsé

10h15- Wagner met le paquet pour me réveiller. Je garde les paupières fermées quelques minutes pour m’intégrer dans le présent de ma vie.

Dans la cuisine, je prépare le thé blanc de Chine, dernière récolte du printemps. Je le déguste sur un coin de fauteuil. Autour de moi, l’appartement s’est transformé en labo-photo. Les repas sont devenus succins et inconfortables.

J’enfile un Ti-shirt noir. Je me rase car j’ai rendez-vous rue du Caire. Je revois Ludivine. Devant la glace, le sang me monte aux joues. Respire. Ne pas laisser voir l’effet qu’elle m’inspire.

10h45- Je descends quatre à quatre l’escalier de mon appartement parisien. J’arrive devant ma vieille Opel Corsa, merde, on m’a encore dézingué mon rétro. Tant pis. Je monte et je louvoie dans les rues de ma ville.

11h- Je suis devant Ludivine et elle me flamboie. Elle me parle des derniers ragots de la boîte et de sa difficulté avec certains de ses collaborateurs. Je joue au grand frère psy à qui on peut tout dire et elle en profite, la garce ! C’est une femme de tête, ultra intelligente qui planifie sa vie comme une montre suisse. Je sais qu’elle doit être impossible à vivre mais elle me fascine. Deux, trois bonjours dans différents bureaux et je pars. Je mange chez ma mère ce midi.

Dans la rue, j’ai mon Lumix à la main. Ma passion, c’est la photo, la photo japonaise. Ludivine, je la vois comme une fleur droite et majestueuse, fière et fragile à la fois. A la première bourrasque, le vent l’emportera. Derrière, c’est le flou. C’est moi. Avec mes contrastes lumineux.

Tous les jours, je vais chez ma mère où j’ai installé mon bureau. Nous avons une propriété en banlieue proche de Paris. Pendant que les banlieusards s’entassent pour venir au cœur, au centre, je roule à l’envers, fluidement, un petit sourire narquois au bout des lèvres.

12H15- Je m’assoie à table. Ma sœur à droite, ma mère en face. On se supporte. La télé est allumée pour combler le vide et le peu de conversation. C’est là que nous apprenons que le soleil à rendez vous avec la lune dans moins d’une heure. Ma sœur saute sur ses pieds, elle veut absolument aller acheter les lunettes spéciales tout exprès pour l’événement pour ne pas en perdre une goutte. Ma mère et moi gardons le silence. Ma sœur claque la porte en lançant rageusement ; De toute façon à part vous, il n’y a rien qui vous intéresse !

Ma mère caresse le chat pépère sur ses genoux. Ma mère et ce chat ne font qu’un. J’avoue que Pépère reçoit parfois des coups de pieds que j’aurai volontiers donné à ma mère…

Elle me dit que c’est le jour de la tonte. Je la regarde. Depuis que je suis devenu bouddhiste je reste impassible. Peu m’importe, je me changerai en papillon, ma mère en mante-religieuse et ma sœur en poule caquetante.

13h. Je m’assoie sur la tondeuse autoportée. Je connais mon terrain de 4000 m2 les yeux fermés. J’ai branché mon Mp4, mis mes lunettes anti-projectile et le vieux chapeau de papa qui ne sert qu’a ce moment particulier et privilégié.

13h15- Ma sœur se plante comme un piquet au milieu du jardin. Je m’amuse à tondre autour d’elle en la laissant au centre d’un rond parfait. Elle lève la tête au ciel à s’en décrocher les cervicales. Et d’un coup, elle me fait de grands signes. Me le montre du doigt. Cela s’est assombrit considérablement. Je lève la tête, bercé par la musique de Seal dans les oreilles. La tondeuse fait un soubresaut. J’ai le temps d’apercevoir pendant 5 secondes le petit miracle céleste qu’il ne m’est même pas venu à l’idée de prendre en photo. Mes écouteurs tombent, j’entend enfin ma mère crier. J’arrête le moteur et dans une moitié de jour le drame prend forme. En regardant le ciel, j’ai écrasé le chat pépère.

13h20- L’éclipse est terminé. Ma sœur est furieuse contre moi car j’ai gâché l’instant suprême. « Toujours toi, toi, et toi !!! », une vieille rivalité nourrie ses propos. Ma mère est en larmes. Je prends une pelle et enterre Pépère au fond du jardin sous les regards foudroyants de mes deux mégères. Je tente de reprendre mon travail…difficilement.

18h- Les banlieusards rentrent chez eux. Ce soir, je ne leur échange pas mon sourire goguenard. Je me contente de filer doux.

20h- Je mange au Japonais avec mon pote Auvergnat. Des fois il m’invite chez lui et c’est comme ci j’allais dans un autre pays.

22h-Je suis devant mon Mac et je passe la soirée avec Sophia ou Paola ou bien Fukushima. Je suis un french lover parisien. C’est ma deuxième vie, celle qui m’emmène au bout de la nuit… J’ai encore le chapeau de Papa. Papa.

Véronik


Lundi 14 Avril 2011. J’aime bien le mois d’Avril. Cette année Pâques arrivera tôt dans le calendrier. Bientôt les vacances. Assise à la terrasse du bar d’à coté, je commande un café. Noir. Sans sucre. Amer. J’adore. Aujourd’hui une atmosphère étrange. Premier soleil. Tiède et pâle. Des traces de neige encore, sur le trottoir.

13h11 Je vois passer cet épouvantail utopique. Chapeau de paille coloré, calé décalé sur une oreille en feuille de chou, déployée, attentive aux son de la vie. Un sac de plastique vert se balance au bout de son bras.

13h12 Il est noir. Il marche vite.

13h13 Signe de chance

13h14 Intruse dans l’histoire, une poule anachronique vient picorer à mes pieds. Son œil est rond. Les petits mouvements vifs de son cou exaltent la soie de ses plumes. La lumière s’y accroche.

13h15 L’homme noir avance en couleur. La couleur comme un chant.

13h16 Entre mes cils je l’observe. Il est beau.

13h17 J’aimerais qu’il s’arrête. Il reste reste si peu de temps avant la fin de l’histoire.

13h18 Il vient de loin . Il sait où il va.

13h19 Dans mon rêve je le suis. La marche comme une danse.

13h20 L’enfant du soleil a rendez-vous avec la lune.

Marie


04h 45 - 14 avril 2011 - température extérieure 4°C - nuit et ciel couvert - rues désertes - marche dans la ville -

Les réverbères illuminent encore pour quelques heures les trottoirs. Mes pas claquent. J’ai froid. J’enfonce ma casquette sur le crâne et déplie les oreillettes pour me protéger du risque d’otite.

13 avril 2011 - le téléphone - sa voix chantante - une invitation - rendez-vous à l’auberge du petit lac - me prépare une surprise - va-t-elle me faire goûter son jus de gingembre ? - se munir de baskets -

J’accélère le pas pour me réchauffer, pour me retrouver au plus vite dans l’ambiance lourde et humide de l’atelier. J’ouvre la porte à l’arrière de la boutique, avance dans le long couloir et accède au vestiaire. Je retire ma parka et enfile mon tablier de travail.

12 avril 2011 - au café avec Pierre - deux demis sur la table ronde - elle seule à la table voisine - les doigts pianotent sur le clavier - son sourire - le départ de Pierre - la discussion qui s’engage - qui s’est adressé à l’autre en premier ? - sa voix chantante - elle boit un jus de gingembre - numéros de portable échangés -

Les gestes familiers s’enchaînent. Armée d’une cuillère, la main droite remue la pâte qui s’épaissit et jaunit. L’apprenti prépare les moules pendant que le mélange est battue dans la machine. Les mains s’activent dans l’atelier, les corps se frôlent, la température des fours chauffent l’air qui devient vite irrespirable. On ouvre les vasistas. Des odeurs d’épices luttent avec l’amertume du chocolat pour s’approprier l’espace. Derrière la vitre, les peaux des viennoiseries se dorent.

11 avril 2011 - sonnerie du téléphone - ma soeur Alice - des nouvelles de ses enfants - l’école - et moi comment je vais ? - tristement - la solitude - Alice avec fermeté : si tu n’étais pas si exigeant - avec bienveillance : t’es un gars bien tu sais -

Dans les fours, les tartelettes succèdent aux pains au chocolat et précèdent les génoises. Sur les tables, les sauces, les coulis et les nappages mijotent, les fruits quittent leur apprêt de couleur et deviennent lamelles. Dans les casseroles, les pastilles de chocolat se liquéfie. Le chariot n’arrête pas ses allers et retours entre l’atelier et la boutique. Les voix des clients parviennent par bribes à chaque voix qu’on entrouvre la porte. Les aiguilles émiettent les minutes, treize heures approchent. Je vais bientôt retrouver mon trottoir.

13h 01 - rue des échoppes - 20°C - ciel dégagé - en route vers l’auberge du petit lac - casquette toujours sur la tête - éviter l’insolation - rendez-vous fixé à 13h 10 - temps maîtrisé -

Nous marchons sur le petit sentier sauvage qui longe le plan d’eau. A cette heure-ci, il n’y a presque personne. Elle est magnifique dans sa robe colorée. Il y a des sourires dans nos voix qui se découvrent et s’apprivoisent. Seuls les chants des oiseaux nous accompagnent.

13h 12 - hors de son sac, deux paires de lunettes spéciales - sa surprise - pour observer sans risque l’éclipse - elle dit : tout le monde en parle - je réponds : ah bon ! -

13h 20, le spectacle est terminé, je lui rends ses lunettes. Elle : « je voudrais être ton soleil tous les jours, t’éclairer même pendant les éclipses. Je serai ton soleil, tu seras ma lune ». Je me dis qu’elle ne va jamais s’arrêter avec ses pseudos déclarations romantiques. Sa niaiserie m’indispose, on dirait une gamine de 15 ans. J’entends la voix d’Alice. Sa fermeté. « Si tu n’étais pas si exigeant ».

igor


13 h 00, le journal télévisé présenté par cette dinde de Chantal Gingembre, il en a assez de voir la tête de cette femme qui se prend pour la reine du monde mais comme elle est niaise se dit-il tout haut !

Chaque jour à la même heure, il regarde les infos. Lui l’homme pacifique et tendre au regard doux, doté d’un physique agréable, grand et svelte, les traits à peine marqués malgré son âge, lui qui comble ses heures de solitude grâce à la télévision et à l’ordinateur.

Assis là devant son poste de télévision il écoute stoïque la misère du monde. Sa vie est monotone mais il est tellement habitué qu’il ne sait plus si il a un âge. La routine s’est installée depuis longtemps. Il s’est endormi dans son fauteuil quand tout à coup il est réveillé par le cri strident d’une sirène. Il sort péniblement de sa torpeur. Mais que se passe-t-il donc ? Il regarde dehors, quelle heure est-il ? 13 h 13 mais pourquoi il fait presque nuit à cette heure là ? Les sirènes continuent de retentir de toute part. Notre solitaire est paralysé par la peur qui s’empare soudain de lui. Mais qu’est-ce qui vient déranger son quotidien ? Il se sent perdu et la lumière qui ne revient pas, il regarde à nouveau l’heure, 13 h 15, tout devient de plus en plus sombrez et Chantal Gingembre qui braille toujours dans le poste de télévision.

Il ne sait plus où il est où il habite, il lui semble que ses forces l’abandonnent. 13 h 17, il est maintenant tétanisé sur son fauteuil, plus rien ne bouge, ses membres se figent, plus aucun mot ne sort de sa bouche.

Il pense que la fin du monde est là, tout va s’arrêter sans prévenir. 13h 20, le soleil réapparaît illuminant la campagne aux alentours.

Il se sent soudain soulagé il a sans doute rêvé comme d’habitude. Il s’invente un monde intérieur depuis qu’il est seul. Et Chantal Gingembre qui annonce la fin du journal. « Aujourd’hui, nous sommes le 14 avril 2011 et j’espère que vous avez pu observer l’éclipse totale du soleil qui a eu lieu de 13 h 13 à 13 h 20. Je vous souhaite une bonne journée et je vous propose de nous retrouver demain à la même heure. »

Monique

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