Le Printemps de Sophie

Jeudi 29 mai 2014 — Dernier ajout mercredi 8 octobre 2014

Elle s’est levée tout doucement, a glissé hors du lit et hésité un instant. Réveille, réveille pas ? Fabrice dort si bien, complètement étalé, échoué plutôt sur le bleu des draps. Elle se penche, effleure son épaule de la bouche, dégage la mèche blonde qui lui cache les yeux et secoue la tête amusée en attrapant son peignoir. Une marmotte, elle s’est mariée à une marmotte ! Elle descend en évitant de faire craquer l’escalier, passe par la salle de bain, hésite à tirer la chasse d’eau et puis zut, tant pis, tant mieux s’il se réveille, il est quoi ? Mince déjà dix heures ! Elle met le café en route, sort le pain du congélateur et ouvre la porte pour humer l’air … Pas à dire, ça y est, c’est le printemps : une bouffée de lilas, une pointe de glycine et les oiseaux. Les oiseaux qui pépient à la rendre sourde. Elle retient un petit rire en voyant le merle de Fabrice perché sur le pot du fraisier en fleurs, il penche la tête en l’observant et lance la première note de la trille qu’il lui a apprise, elle siffle la suite et il reprend en sautillant autour du pot. Cela fait combien de temps maintenant qu’il l’a ramassé sous le prunier, avec à peine quelques plumes au bout des ailes et de la queue ? Deux ans, trois ans ? Il s’écarte à peine quand elle pose un morceau de Sacristain sur la marche où il l’a suivie. Il picore les miettes feuilletées et sucrées pendant qu’elle savoure sa première tasse de café, assise au soleil. Il piétine autour d’elle, regarde à l’intérieur, s’impatiente et fini par moduler un sifflement interrogateur. Elle termine sa tasse et chuchote : « et non mon vieux, qu’est-ce que tu crois, faire un bébé, ça fatigue, c’est pas comme ça chez vous, hein ? » Il a écouté attentivement. Qu’est-ce qu’il a bien pu comprendre ? Et a fini par s’envoler. Elle pose la main sur son ventre plat et interroge, cœur à cœur, yeux fermés visage tourné vers le soleil « alors, ça y est ? Tu te décides ? Ce serait bien, maintenant, tu sais… Même moi j’ai envie … Allez, tu peux… Ça fait des mois qu’on t’attend. Ça ira bien, je t’assure. Comme tu veux, garçon, fille… Oui, oui, ça ira, même si tu es une fille, t’inquiète pas, ça ira. Tu vas voir comme on va t’aimer »

  • Et bien dis donc, quel soupir ! J’ai cru entendre Merlot, ils font un raffut ce matin dans le prunier… Il s’est assis contre elle, la prend par l’épaule et embrasse le dessus de sa tête. – Tu aurais pu me réveiller, on aurait déjeuné ensemble… ou tu aurais pu nous monter le café… on aurait pu … Elle éclate de rire en se redressant et le tire à l’intérieur.
  • tu as vu l’heure ? Tes parents nous attendent à midi. Tu avais oublié ? Il s’étire en grommelant, allume la radio et se bagarre, comme tous les matins avec la Senséo et le grille-pain. Il finit par s’asseoir en secouant la tête
  • je ne suis bon à rien, moi, avant le café… surtout pas à le préparer…
  • tu veux un vrai café, tu es certain ? Tu ne préfère pas un bon vieux Nes à l’eau tiède ? Il a le grand sourire en coin qui la fait fondre et feint l’inquiétude
  • tu m’en veux de quoi exactement ? Je suis rentré trop tard hier ? J’ai pas assuré cette nuit ? J’ai ronflé …
  • tout ça et bien plus … Dehors les trilles des merles, ici les borborygmes de la cafetière, le bourdonnement de la radio et soudain la voix dans la radio qui les cueille. Elle s’en est assise. Bon sang, on est en 2014 non ? C’est le printemps ? Il va faire doux ? Il y a le lilas, les roses, les merles … Comment c’est possible ça ? J’ai bien entendu ? Deux cents. Trois cents gamines ? Ils ne savent pas ? Enlevées… Comme ça ? Et alors ? Et alors ? On fait quoi ? Je fais quoi, moi ? Boko quoi ? Mais enfin, mais qu’est-ce que c’est que ces malades ? On ne va rien faire ? Rien… Si, sûrement … Peut-être…Et toi ? Toi qui va pousser là ? Dans ce monde de malades. Elle a remonté les pieds sur sa chaise et cramponne ses jambes, bien serrées. Fabrice a reposé sa tasse vide, sourcils froncés il cherche les mots, des mots et puis secoue la tête. Entre, il y a un très long silence. Il se lève, éteint la radio, la prend par la main :
  • viens, on va voir Merlot au jardin. Hier il m’a semblé qu’il avait une nouvelle copine. Elle acquiesce, se déplie, remet la cafetière en route, pose un sucre au fond de la tasse au liseré rouge, y laisse couler le breuvage brûlant et la pose sur la table.

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