Quand une fée vient au printemps

Mercredi 16 juillet 2014 — Dernier ajout mercredi 8 octobre 2014

Elle arriva un petit matin de printemps, en petit tailleur vert, ses longs cheveux bruns tressés dans le dos.

Tous au bureau 21 s’arrêtèrent, même Paul, étonné de l’arrêt des bruissements et des conversations. Lui seul n’avait pas vu au travers de ses verres épais de myope l’entrée fulgurante de Sophie, la nouvelle stagiaire.

Paul était trop occupé à contempler son agenda avec consternation.

Pour la première fois, il le voyait sous un angle nouveau.

Auparavant, son agenda était source de contentement. Plus il se remplissait, plus Paul exultait.

Ses derniers temps, un étrange fatigue l’habitait. Il ne rentrait jamais tôt de son travail, prétextant des affaires à finir ou quelques activités entre camarades. Pourtant ces temps ci, il avait envie de rentrer chez lui, se mettre dans un fauteuil et ne rien faire. Mais la raison inavouable, sans doute, pour laquelle il ne rentrait pas, était malheureusement un obstacle au repos du vieux guerrier des temps modernes qu’il était : sa femme.

Sa femme Jacqueline, une erreur, un glissement de terrain, un chardon, un moustique, une bombe à retardement.

Deux semaines après avoir convolé, Paul s’était rendu compte de la cruelle réalité : sa femme était un monstre. Un monstre à trois têtes, l’une obnubilée par sa galerie d’art, non pour l’amour de l’art mais pour se faire valoir, la deuxième était de dépenser le moindre centime en falbalas et clintillements et la troisième, voir, épier que son cher mari suivait bien le régime de changements et d’investissements qu’elle avait dû mûrement préparé pendant ses noces.

Son éducation excluait le divorce. Mais son agenda l’attestait, trop, c’est trop. La coupe était pleine à ras-bord.

Ce n’est que quinze jours plus tard, penché sur un de ses sujets à l’atelier marionnettes de l’entreprise qu’il croisa le regard de Sophie, son sourire constant et sa joie de vivre. Il baissa les yeux vers la marionnette qu’il fabriquait et entre ses mains il vit, Sophie, la fée lumière, fille de la terre, de l’air, du feu et des eaux. Il vit les forêts profondes et les vallées arasées de lumière. Il vit le vol de la buse, le cri du geai et le sautillement de la bécasse. Le murmure du vent frais dans les trembles et tout au fond, au fond du rocher, la source d’eau vive. Il lui tendit la marionnette en offrande, derrière ses lunettes, ses yeux brillaient d’un éclat nouveau.

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